La Newsroom
L'actualité c'est chiant. Ici on essaie de rendre ça un peu moins chiant.

« Tout comme le Vietnam fut la première guerre télévisée, les guerres de Syrie et d’Irak, sont celles des médias en ligne ».

C’est Peter Singer, de la Brookings Institution, qui dresse ce constat. Grâce à l’arrivée massive de djihadistes occidentaux, habitués à l’utilisation d’Internet et des outils de production professionnels, l’EI maîtrise tous les codes de la communication en ligne.

L’organisation utilise la revue Dabiq et le travail de plusieurs boîtes de production qui lui sont affiliées. Ils mettent en scène les combats, les décapitations d’otages étrangers ou encore la destruction des œuvres exposées dans les musées et des symboles religieux pré-islamiques sur les sites conquis. Son réseau de sites et de sympathisants en ligne diffuse sa propagande à grande échelle.

En parallèle, l’organisation profite de l’hyper-médiatisation de nos sociétés : ses actions, à l’image des drames répétitifs qui se sont déroulés à Paris cette année, trouvent un écho retentissant sur les réseaux sociaux et les chaînes d’info en continu.

Le réseau médiatique de Daesh

Daesh impose ainsi son leadership en matière de djihad, notamment vis-à-vis d’Al-Qaïda, et veut horrifier l’Occident pour le pousser à agir. Les community managers de l’organisation sont des maîtres de l’horreur : ils n’hésitaient pas à tweeter des photos de têtes décapitées pendant la coupe du monde de football au Brésil l’an passé, en parlant de « ballons en peau ». Hashtag #WorldCup.

Lire aussi notre article : [Irak] Quand les djihadistes se font experts en réseaux sociaux

Il faut bien avoir en tête qu’il n’y a aucun reporter indépendant en Irak et en Syrie depuis les kidnappings et les exécutions réalisés par l’organisation. Les médias n’osent plus envoyer leurs équipes et en parallèle ils reprennent allègrement les séquences diffusées par Daesh : c’est une double victoire pour l’organisation, qui contrôle totalement l’image qu’elle veut renvoyer. Une photo ou une vidéo ne représente pas la réalité, seulement ce que veut en montrer son auteur.

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Ainsi, quand Daesh détruit les sculptures du musée de Mossoul, la plupart des sculptures ne sont que des copies en plâtre, et elles ne représentent qu’une infime partie de la collection du musée, laquelle est revendue au marché noir par les djihadistes.

L’organisation soigne son image auprès de tous ses sympathisants, en adoptant par exemple un arabe parfait dans ses publications ou en traduisant ses films de propagande en de nombreuses langues : le califat utilise les nouvelles technologies pour diffuser un message présenté comme étant aussi pur que l’était l’islam du début, et l’arabe à cette époque.

Les djihadistes empreignent leurs coups d’éclat d’une symbolique particulière  : pour être plus médiatiques, ces actions sont théâtralisées, comme celles qui devaient marquer l’an deux du califat, un vendredi, en plein Ramadan.

Le « Cybercalifate » lance le djihad sur les réseaux sociaux

Via Internet, l’organisation cherche à mettre en place des cellules dormantes dans les pays impliqués au sein de la coalition internationale. Les sites djihadistes, relayés par les réseaux sociaux, invitent de nombreux jeunes à se radicaliser en ligne. Le reste de la propagande doit les convaincre de franchir le pas.

 

Daesh est capable de lancer de véritables campagnes de communication, à l’image de cet appel à s’attaquer à des salles de concert à l’aide de grenades. Les attentats qui ont touché Paris ce 13 novembre, dont l’attaque du Bataclan, en sont les illustrations les plus récentes.

Les Occidentaux peinent à contrer l’organisation en ligne. Ils ont fait pression sur Twitter ou Facebook pour que les comptes apparentés à l’EI soient supprimés. Mais ces derniers ont beaucoup de mal à contrôler le flux d’informations, si bien qu’un réseau social comme Facebook peut vite, en fonction des pages likées, se transformer en réseau pro-djihadiste, où l’algorithme de suggestion d’ami renvoi sur des personnes présentes en Syrie, comme l’avait démontré Rue89 dans un article révélateur.

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Abou Abdalhah Guitone, émissaire en ligne de Daesh et exemple du « swag djihadistes ».

L’an passé, l’Express consacrait sa Une aux Français embrigadés via les réseaux et donnait un aperçu de quelques comptes tenus par des djihadistes ralliés à Daesh. Facebook est utilisé tant pour promouvoir l’organisation que pour radicaliser des jeunes en manque de repères, les pousser à rejoindre l’EI ou à commettre un attentat en métropole. Afin de rendre la vie des djihadistes plus séduisante, ils se mettent en scène.

Abou Abdalhah Guitone est un bon exemple. Le jeune homme, né au Maroc et qui a vécu en France, au Royaume-Uni, et en Espagne, est l’archétype du « swag djihadiste » : barbe naissante, coupe afro, lunettes de soleil et paire de Nike aux pieds, il pose avec des armes ou un drapeau de Daesh en toile de fond. Une fois arrivés sur place, ces djihadistes sont encouragés à contacter et persuader des proches de les rejoindre. Les Nike ont depuis été interdites.

Même constat sur YouTube, où les vidéos montrant les combats et la mort des « martyrs » côtoient celles où l’on peut voir des exécutions, mais aussi, plus troublantes, des vidéos où les djihadistes rient entre eux, se jouent des snipers ennemis en habillant un balai avec un niqab et en l’agitant dans leur ligne de mire ou encore viennent en aide à une vieille kurde à Kobané. Mais encore une fois, on ne sait pas ce qui arrive à cette femme une fois sortie du cadre de la vidéo et de la propagande de Daesh.

Les rois de la désinformation

Ce curieux mélange de rire et d’horreur joue en la faveur des djihadistes, qui donnent l’impression de faire de l’humanitaire, tant en aidant les faibles qu’en châtiant ceux qui se détournent d’eux. Néanmoins les réseaux sociaux peuvent aussi se révéler mortels pour les djihadistes : récemment, les Américains ont utilisé les informations fournies par un selfie pour identifier un bâtiment servant de quartier général aux djihadistes et le détruire. L’organisation publie d’ailleurs des guides pratiques à destination de ses membres, qui prônent la prudence en ligne.

Les djihadistes punis de selfies

Mais le Web reste un outil puissant : à peine musulmans, déjà radicaux, les jeunes attirés par Daesh sur les réseaux sociaux sont désespérés, n’ont plus confiance en l’avenir et en leur pays. Ils sont valorisés par les djihadistes et, au-delà de l’idéologie, la promesse d’une vie d’action, d’argent ou de femmes suffit à les convaincre. 40% des individus désignés par les services français comme des candidats au djihad sont des convertis. Cette proportion est encore plus importante chez les jeunes, attirés par une vision fantasmée du djihad et de la vie au sein de l’EI.

Pour parler à l’opinion publique occidentale et rendre ses messages plus compréhensibles, l’organisation va jusqu’à utiliser les journalistes capturés pour réaliser des pseudo-reportages ventant les mérites du Califat. Comme pour les images de propagande qui sont les seules à montrer « une » réalité du terrain, cela contribue à rendre les informations de Daesh plus crédibles.

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Vrais documentaires et vidéos d’amateurs se mélangent. « Vérité », « secret », « preuve »…

L’organisation n’hésite pas à faire de la déformation et utilise les failles des médias en ligne – certains ont tendance à prendre ce que publie un autre site pour une information vérifiée, quand ce ne sont pas tout simplement les lecteurs qui ne savent pas identifier une source fiable – pour se rendre plus menaçant qu’ils ne le sont.

On entend parfois parler du développement par les artificiers de Daesh d’explosifs plus performants et indétectables, ou encore que l’organisation pourrait se procurer une bombe nucléaire ou dispose d’assez de matériaux radioactifs pour produire une bombe sale.

Tout ce qui peut contribuer à donner une image de puissance à ses sympathisants et au contraire, inciter les Occidentaux à se sentir en danger et à intervenir. En laissant planer une menace constante, les djihadistes cherchent à crisper les Occidentaux, qui doivent déployer de plus en plus de moyens pour surveiller les lieux sensibles et les personnes susceptibles de commettre un attentat.

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Un voisin du « tueur » de l’Isère : « Heu… j’ai rien vu ». La surenchère médiatique à l’oeuvre.

Les décideurs sont poussés à agir dans l’urgence et à surestimer cette menace. Les dispositifs sont lourds et épuisants et posent d’autant plus la question d’une élimination rapide de l’organisation en Irak et en Syrie. Une intervention directe est le rêve de Daesh qui cherche à mobiliser les musulmans contre les Occidentaux.

Là encore, les médias contribuent à cette atmosphère anxiogène, en donnant à n’importe quel acte terroriste une couverture maximale, soit ce que veulent les terroristes : terroriser. Un cercle vicieux médiatique se met alors en place : en 2014, le nombre d’actes terroristes a augmenté de 35% et fait 80% de victimes supplémentaires !

Chaque nouvelle attaque provoquera la même stupéfaction, le même retentissement médiatique, la même attraction pour les terroristes en herbe qui voudraient marquer les mémoires…

Lire aussi notre résumé complet : l’État islamique, c’est quoi ?

Six ans après sa création et cinq ans après avoir été désigné « meilleure invention de l’année » par le TIME, le site web américain Kickstarter vient de débarquer en France avec l’intention d’y faire décoller le crowdfunding.

Crowdfunding signifie « financement par la foule » ou encore financement participatif. C’est une manière innovante de financer un projet par l’intermédiaire des internautes. Ces derniers peuvent par exemple entrer au capital d’une start-up ou lui prêter de l’argent. Il suffit de s’inscrire sur une plateforme de crowdfunding, de repérer un projet intéressant et de choisir quelle sera l’ampleur de votre soutien. Facile non ?

Le plus souvent, cette participation prend la forme d’un don, en contrepartie duquel l’internaute bénéficie d’avantages variés, comme une réduction sur le prix du produit ou du service qu’il aide à développer, une rencontre avec les porteurs du projet ou un simple merci de leur part. C’est la moindre des choses. Kickstarter en a fait sa spécialité.

Pour le porteur de projet, il suffit de s’inscrire, de détailler le projet (secteur d’activité, but du financement…), d’indiquer de combien il a besoin et quelles sont les contreparties offertes aux donateurs et enfin de fixer la durée de la campagne. Une fois cette période écoulée, les donateurs sont débités seulement si l’objectif de financement est atteint à 100% ou plus. S’il ne l’est pas, le porteur de projet n’a rien, l’internaute ne perd pas d’argent et Kickstarter ne touche pas sa commission.

On va maintenant s’intéresser à Kickstarter et à l’impact de son arrivée. Si vous voulez connaitre directement mes projets préférés et vous éviter un cours sur le marché du crowdfunding français, c’est ici !

Kickstarter, c’est 1,72 milliard de dollars récoltés

Le crowdfunding rencontre un gros succès outre-Atlantique : Kickstarter a collecté près de 530 millions de dollars l’an passé, soit 10,2% de plus qu’en 2013. Depuis 2009, c’est plus de 85 000 projets qui ont été financés par 8,6 millions de contributeurs pour un total d’1,72 milliard de dollars.

Pas mal non ? Bon il faut dire que la plateforme est le paradis des geeks : les jeux vidéo représentent un cinquième des fonds récoltés et quatre des dix plus gros succès de la plateforme.

Les objets high-tech ont aussi la cote : les montres connectées Pebble ont attiré plus de 30 millions de dollars de financement ; la glacière / chaîne hi-fi connectée Coolest cooler plus de 13 millions et un peu plus de 6 millions pour le walkman Pono music, développé par le guitariste canadien Neil Young pour ceux qui en ont marre d’écouter des mp3 de mauvaise qualité.

Hors du top 10 on retrouve aussi le casque de réalité virtuelle Oculus Rift, qui avait tâté son 2,4 millions de dollars grâce aux donateurs de la plateforme avant d’être racheté l’an passé par Facebook pour 2 milliards ! Les projets musicaux et vidéos sont aussi représentés en masse.

Mais derrière ces « blockbusters » ambitieux se cachent des projets plus confidentiels puisque 60% des projets financés ne rassemblent pas plus de 9000 dollars. C’est là qu’il faut chercher quelques perles qui, avec un peu de chance et un coup de pouce médiatique, arrivent à lever bien plus qu’espéré. Le meilleur exemple est le jeu de cartes Exploding Kittens qui, d’un objectif de 10 000 dollars, a attiré 8,8 millions de dollars de dons, devenant le quatrième plus gros projet de Kickstarter !

Ces belles réussites ne doivent pas faire oublier les nombreux projets qui n’atteignent pas leur objectif de financement. Pour son lancement français, Kickstarter dévoile des chiffres à faire rougir de plaisir ce bon vieux Pareto : selon eux, 80% des projets qui atteignent au moins 20% de leur objectif arrivent à être financés intégralement. Pareil pour 75% des projets qui comptent au moins 25 contributeurs. Mais au total 230 000 projets sont passés sur le site, soit un taux de projets financés d’à peine 30%.

Kickstarter, un poids lourd par rapport au crowdfunding français

Quoi qu’on en dise, la France reste un pays relativement ouvert aux nouvelles technologies et aux pratiques digitales. Au dernier CES, le grand salon américain des nouvelles technologies, nous étions le deuxième pays le plus représenté en matière de startups. Le crowdfunding français est pourtant loin d’égaler son pendant US : sur les 3,3 millions de donateurs de Kickstarter l’an passé, seulement 41 000 sont français et ont donné 7 millions d’euros sur les 475 récoltés au total.

Kickstarter seul a levé trois fois plus de fonds que l’ensemble des sites français (152 millions selon l’Asso du financement participatif de France). KissKissBankBank et Ulule, nos deux plateformes phares, ont récolté respectivement 14,5 et 12,9 millions d’euros.

Le système de dons repose sur de petites sommes, il faut donc que les donateurs soient nombreux pour que les porteurs atteignent leurs objectifs de financement. Les plateformes françaises ne sont pas assez séduisantes pour certains d’entre eux, qui jusqu’ici n’hésitaient pas à s’installer à l’étranger pour utiliser Kickstarter.

C’est le cas par exemple de la start-up Prynt, qui développe depuis San Francisco une coque pour iPhone capable d’imprimer directement vos photos, façon Polaroid, et qui a levé 1,5 million de dollars sur le Kickstarter US. Même situation pour les Niçois derrière le jeu vidéo Umbra, qui, à une dizaine de jours de la fin de leur campagne, ont levé un peu moins de 250 000 dollars.

Désormais, plus besoin de s’expatrier ou de magouiller, les porteurs de projet peuvent rester en France pour bénéficier des avantages du crowdfunding made in America. Cela marque-t-il pour autant la fin de nos plateformes nationales ?

Kickstarter, menace ou coup de pouce ?

Kickstarter peut compter sur la quantité de ses utilisateurs pour séduire les entrepreneurs français. Cependant, et comme le notent les représentants de KissKissBankBank et d’Ulule, ainsi que des journalistes spécialisés, c’est au niveau de la qualité de l’accompagnement que le bât blesse.

Là où les plateformes françaises bénéficient d’équipes habituées à notre marché, capables de conseiller les porteurs de projet et de sélectionner et mettre en avant ces derniers, le site US n’a pour l’instant aucune présence sur le terrain. Seule une Française, Axelle Tessandier, fait le lien entre les entrepreneurs et Kickstarter depuis la Silicon Valley.

On peut se demander si la liberté offerte par le site US et l’accompagnement réduit n’entraîne pas la mise en ligne de trop de projets de qualité moyenne, qui sont noyés dans la masse. Résultat, beaucoup d’efforts et de temps perdu pour un financement qui ne concerne qu’un tiers des projets Kickstarter, quand Ulule revendique un taux de financement de 67%.

Interrogé par l’Obs, Mathieu Maire du Poset, directeur adjoint de la plateforme française qui donne ce chiffre, constate que sur Kickstarter, « les projets français se sont souvent plantés », alors que sur Ulule, « nous examinons les idées avant de les valider.(…) Nous ne nous considérons pas simplement comme un outil web, à la manière de Kickstarter qui pourrait être vu comme un YouTube du crowdfunding. »

Il reconnait cependant que l’intérêt porté par les médias à la plateforme américaine, ainsi que l’effort de communication et de pédagogie entamé par cette dernière devrait faire du bien à l’ensemble du crowdfunding français. Ce 6 juin, l’école ESCP Europe profite ainsi du buzz suscité par l’arrivée du géant US pour organiser une journée spéciale découverte sur le thème du crowdfunding. Cependant, un acteur comme Kickstarter devrait éliminer les plus petites plateformes, renforçant les leaders français et les plateformes situées dans un secteur de niche.

Plus qualitatifs, les projets des plateformes françaises sont aussi plus diversifiés. Outre les nouvelles technologies, « l’agriculture, la presse ou la restauration » progressent également. En témoignent les projets hébergés par KissKissBankBank comme De peuple à peuple, qui vise à aider les Grecs à financer des associations en remplacement des services sociaux défaillants ou encore le projet LesJours.fr, un nouveau site d’informations lancé par des anciens de Libé. Le premier a récolté pour l’instant 27 000 euros sur les 300 000 demandés, le second 25 000 sur les 50 000.

Plus de 150 projets en une semaine

Cette diversité apparaît dans les quelques 150 projets lancés depuis la semaine dernière sur la plateforme française de Kickstarter. Beaucoup de technologie, à l’image des projets SensorWake, un réveil olfactif, HidnSeek, un traqueur GPS pour ne plus perdre vos objets et Mix Fader, un objet qui permet de scratcher une musique sur portable. Tous ont atteint leurs objectifs de financement tout en faisant parler d’eux dans les médias.

Mais on peut aussi se mettre à l’aise et citer quelques projets qui ont retenu mon attention :

    • On Wheelz, des chaussures modulables auxquelles on clipse des roulettes. Avouez que c’est sympa ! En plus, les mecs sont intelligents et ont retenu leurs cours de cross-selling : vous devez acheter directement des chaussures adaptées ou faire modifier vos chaussures préférées pour utiliser On Wheelz. Ceux qui font un don allant de 300 à 400 euros peuvent choisir l’une des deux options en contrepartie.

      On_Wheelz_Kickstarter_Crowdfunding

      Pour 2000 euros (!) vous recevrez deux paires que vous pourrez utiliser pour faire un tour à Paris en compagnie des créateurs du projet, qui en prime payent le pique-nique. Grands seigneurs. Le projet a déjà rassemblé plus de 60 000 euros sur les 30 000 nécessaires. Bonus : si la plupart choisiront les Nike, Adidas ou Reebok proposées par la marque, vous pouvez aussi faire adapter vos chaussures de ville !

    • Toujours dans le domaine vestimentaire, la cravate réversible d’Oh My Node. Spécialisée dans les nœuds pap’ et le made in France, l’entreprise parisienne innove. J’aime les cravates, même si j’essaye de ne pas avoir à en porter : en avoir deux pour le prix d’une, c’est doublement cool… Si les aider permet de créer un emploi et de faire travailler des ateliers en France, c’est quadruplement cool, aussi moche que ce mot puisse paraître. Pour un don allant de 35 à 110 euros, vous recevrez d’un noeud pap’ à deux cravates. Entre 250 et 1000 euros, vous aurez mieux qu’un pique-nique : une journée avec les créateurs pour des noeuds pap’ sur mesure, la création d’une cravate inédite ou donner son nom à la prochaine gamme ! Ils ont levé pour l’instant 3500 euros sur les 10 000 nécessaires.
    • En matière de bouffe et d’écologie, voici UpCycle, un projet qui cherche à récolter votre marc de café pour y faire pousser des champignons, lesquels vous seront livrés à la prochaine récolte de marc… Vous suivez ? Le projet est géré par des personnes en insertion professionnelle et vise également à développer des bacs et des sacs pour que vous puissiez cultiver vos champignons chez vous grâce à votre addiction au café.
      UpCycle_Kickstarter_Crowdfunding
      Les contreparties proposées sont intelligentes : jusqu’à une centaine d’euros, vous recevrez les fameux bacs ou sacs. Au-delà, vous pouvez gagner un abonnement d’un an au service de livraison et une journée cueillette plus visite à Rungis conclue par une bonne bouffe. Là où ils sont bons, c’est qu’ils réservent aussi une offre pour les entreprises : pour 5000 euros, l’une d’entre elles peut devenir le sponsor du projet, soit un bon coup de com écolo ! Ils n’en sont qu’à 200 euros sur 5000… Bonus : apparemment, la récolte varie entre plusieurs centaines de grammes et un kilo par mois !
    • Sans oublier les nombreux projets éditoriaux et artistiques (magazines, art books, documentaires). Je pense à Kameleo, une web-série qui apprend l’art aux enfants, façon d’Art d’Art mais en moins chiant. Pour moi qui suis désarmé en la matière, mais aussi en littérature ou en philosophie, et qui essaye de rattraper mon retard aujourd’hui, je trouve ce projet essentiel. La créatrice organisait déjà des visites de musées destinées aux enfants via Art Kids Paris. Elle veut désormais étendre gratuitement son action grâce à Internet !
      Les contreparties ne vont pas vous donner un coup de chaud mais là n’est pas l’essentiel : à partir de 50 euros, vous recevrez un épisode personnalisé où une oeuvre est décryptée juste pour votre enfant. Ou pour vous, pas de blem ! Pour plus vous pourrez avoir une peluche de la mascotte, emmener votre enfant à un goûter avec les membres d’Art Kids Paris ou assister aux tournages de la web-série. Le projet a levé 5900 euros sur les 13 770 nécessaires.

Kameleo_Kickstarter_Crowdfunding

  • Je pense aussi à Second Generation, l’adaptation en dessin animé d’une BD racontant l’histoire d’un fils d’un survivant de la Shoah, Michel Kichka, et dessinée par lui. Un père qui, trop pudique pour parler de ce qu’il a vécu à ses enfants, n’a réussi à partager qu’au travers du dessin. L’adaptation va coûter plusieurs millions mais il ne manque que 100 000 euros pour l’achever. Via Kicktarter, les créateurs veulent surtout faire parler d’eux et réunir les témoignages des centaines de milliers de personnes qui descendent d’un survivant. Ceci afin de développer des contenus pédagogiques annexes. Pour 15 euros, vous recevrez une copie du film, plus la b-o, un artbook, un script dédicacé pour chaque billet supplémentaire. Pour 600 euros, votre nom apparait dans le film. Pour 1500 euros, c’est vous. En version dessin animé et en pas trop moche si possible.
  • Et il faut aussi que je sois chauvin et que je cite le projet des Aixois de Forge Animation, qui cherchent à adapter le roman de science-fiction La Horde du Contrevent, d’Alain Damasio. La série de six épisodes de 50 minutes, appelée Windwalkersjouera énormément sur l’esthétique et fait appel à des monstres du graphisme comme par exemple Yoshitaka Amano, qui a juste donné naissance au design et aux personnages des jeux vidéo Final Fantasy (!!!) et une dizaine d’artistes qui ont travaillé sur des broutilles comme Batman, Pacific Rim, Avatar, Matrix ou le prochain STAR WARS. En contrepartie de vos dons, vous recevrez les premières minutes de l’épisode I en exclu, l’épisode I, des artworks etc… Le crowdfunding ne devrait en effet permettre que de développer le début de l’épisode I, le succès de l’opération devant attirer des investisseurs. 31 000 euros sur 75 000 sont réunis. Il y a quelques mois, l’équipe avait rassemblé 133 000 dollars sur la version US pour développer un jeu vidéo RPG basé sur le même univers, mais n’avait pas atteint les 330 000 dollars fixés pour objectif. J’espère avoir l’occasion de vous reparler du projet très bientôt !
  • Enfin, je ne peux pas m’empêcher de revenir sur le projet SensorWake. Lancé il y a plusieurs mois par un jeune ingénieur de 18 ans, il a déjà été primé par Google comme l’une des 15 inventions qui peuvent changer le monde… Bon, en effet, être réveillé par l’odeur du café ou du croissant chaud plutôt que par un buzzer ou une de vos musiques préférées que vous ne pouvez plus supporter, c’est intéressant. Mais Google pourrait revoir le nom de son concours, sous peine d’être taxé de cynisme alors qu’un peu moins de 800 millions de personnes ont faim dans le monde en 2015. L’odeur du croissant chaud au réveil n’y changera pas grand chose. Ça n’enlève rien à la performance de Guillaume Rolland, qui a déjà rassemblé plus de 110 000 euros sur les 50 000 nécessaires pour son projet.
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    SensorWake est donc un réveil olfactif qui marche grâce à des cartouches de différents parfums, que vous pouvez changer chaque jour et dont la durée de vie équivaut à deux mois environ. Le dispositif est censé être aussi efficace qu’un réveil normal et sera vendu une centaine d’euros, les capsules coûtant environ 6 euros chacune en commandant sur Internet. Je ne pense pas qu’il soit possible de les faire soi-même façon Nespresso. Pour 60 euros, les donateurs pourront se procurer la bête. Là aussi on retrouve une contrepartie destinée aux businessman : pour 4999 euros, vous pourrez gérer la distribution de SensorWake près de chez vous. Intelligent. Enfin il faut bien parler du parfum « dollar » qu’on peut voir sur les visuels. Sérieusement ? Qui a déjà été réveillé par l’odeur de l’argent ? Vous ciblez Wall Street les gars ou quoi ? Bon, c’est toujours moins pire que les goûts « ville » pour les cigarettes électroniques et il semble que ces cartouches sont réservées à certains donateurs.

Vous l’aurez compris, le crowdfunding c’est beaucoup de gadgets et de projets inutiles, donc indispensables selon la formule à la mode. On pourrait lui reprocher d’alimenter la création illusoire de nouveaux besoins, pour des objets qui finiront leur vie dans des tiroirs. Mais au milieu se cachent quelques projets lumineux, ou au moins utiles. Des projets qui n’auraient pas eu le succès qu’ils méritent, tel Exploding Kittens, qui n’auraient pas eu la confiance des intermédiaires, comme c’est pour l’instant le cas de Windwalkers, ou qui simplement ne rapportent rien mais sont nécessaires, comme Kameleo. 

Mais si l’on se laisse aller à rêver un peu plus loin, on peut voir le crowdfunding comme une nouvelle façon de consommer, plus efficiente, où la demande finance en amont l’offre (sauf bien sûr s’il est question de salade de pommes de terre). À l’heure où l’on flippe pour nos ressources, pour le climat, pour notre niveau de vie futur (surtout lui !), ça ressemble à une piste n’est-ce pas ?

 

 

Aujourd’hui, très peu de pays reconnaissent le génocide arménien. Pourtant, pendant une courte période, tout le monde, y compris les Turcs, le condamnaient. Qu’est-ce qui a changé ? Pourquoi ça ne se reproduira pas de sitôt ?

Il y a cent ans jour pour jour, les Alliés faisaient une promesse : juger les responsables des massacres qui avaient débuté un mois plus tôt, le 24 avril 1915, avec l’arrestation et l’exécution de l’élite arménienne de Constantinople. Ils parlaient même pour l’une des premières fois de « crime contre l’humanité ».

Alors que le 24 avril s’est imposé comme la date commémorative du début du génocide, le 24 mai est l’occasion d’évoquer les réactions des différentes nations vis-à-vis de cet événement, à l’époque et maintenant, tout en répondant aux questions posées en introduction.

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En 2015, seulement 24 pays reconnaissent le génocide

Tous les pays reconnaissent la Shoah, mais pas le génocide arménien. Certains ont reconnu le génocide par une loi, d’autres le font sans employer le mot et enfin certains ne l’ont reconnu que partiellement, par l’intermédiaire d’une région ou d’un parlement.

Parfois, ces différents éléments se combinent, ce qui ajoute au bordel ambiant. De l’Uruguay en 1965 à l’Autriche le 22 avril, 24 pays au total ont reconnu le génocide. L’Uruguay, comme la France, Chypre et l’Argentine, le fait par l’intermédiaire d’une loi. Notre pays va jusqu’à condamner le négationnisme, comme pour la Shoah. Mais la France ne désigne pas de responsable, et l’Uruguay n’utilise pas le terme de génocide.Reconnaissance_politique_du_génocide_arménien_2015

L’Autriche elle n’a pas fait de loi, mais son parlement a reconnu son rôle indirect, en tant qu’allié de l’Empire ottoman pendant la Première Guerre. L’Allemagne a fait de même le lendemain, mais ni les États-Unis ou encore Israël n’ont osé prononcer le mot et suivre l’exemple donné par le pape François dès le 12 avril, à la grande colère de la Turquie. En Espagne, seule la Catalogne a pris position, tandis qu’au Royaume-Uni, rien n’a été fait. Pourtant, l’UE reconnaît le génocide…

L’exemple des États-Unis est parlant : 43 États ont reconnu le génocide, le parlement aussi, mais pas l’État fédéral. Et si Obama reconnait les massacres, ce qui pourrait engager l’ensemble du pays, il refuse d’employer le mot tabou de génocide. Bref, impossible de trouver une définition claire de la position des States, et impossible aussi de s’arrêter sur tous les cas sans un stock d’aspirine à portée de main.

En 1918, il était reconnu par les Turcs eux-mêmes

Le plus intéressant dans tout ça, c’est qu’une grande partie des pays dont je viens de parler n’hésitaient pas à dénoncer l’Empire ottoman dès la fin de la Première Guerre mondiale. Les principaux responsables avaient même été condamnés, et par les Turcs eux-mêmes !

Retour en octobre 1918. L’Empire ottoman a signé l’armistice avec les Alliés. Les responsables ottomans aux manettes pendant la guerre sont en fuite. Le sultan, sans réel pouvoir depuis leur coup d’État en 1913, pense pouvoir retrouver son autorité grâce aux Alliés. Il se lance dans une politique de collaboration et organise le procès de ceux qui ont ordonné le génocide arménien, comme les Alliés l’avaient promis.

Talaat, Enver et Djemal Pacha, les "Trois Pachas", ont ordonné le génocide.
Talaat, Enver et Djemal Pacha, les « Trois Pachas », ont ordonné le génocide.
Qui sont les responsables lors du génocide ?

L’enquête est confiée à l’ancien gouverneur d’Ankara qui s’était opposé aux déportations et aux massacres. Il va rassembler toutes les preuves du génocide : ordres écrits, témoignages de fonctionnaires ottomans, vestiges des camps où étaient envoyés les Arméniens en plein désert, sans vivre et sans soin…

Les principaux responsables sont condamnés à mort. En parallèle, le sultan signe avec les Alliés le traité de Sèvres en 1920, qui permet à ces derniers de s’approprier d’énormes territoires au détriment des Ottomans. Français et Anglais se partagent la Mésopotamie (la Syrie et l’Irak), tandis que les Grecs obtiennent la ville de Smyrne et ses alentours, sur la côte ouest de l’Anatolie.

Les Arméniens ne sont pas oubliés : l’Arménie orientale dans le Caucase, qui était sous contrôle russe depuis le XIXe siècle, a pris son indépendance à l’occasion de la révolution communiste. En compensation du génocide, l’Arménie occidentale en Anatolie, sous contrôle ottoman, doit être réunifiée avec sa voisine pour reformer la Grande Arménie historique.

Sèvres_formation_de_la_Turquie
L’Arménie devait devenir indépendante et le Kurdistan autonome vis-à-vis de la Turquie
Qu'est-ce que l'Arménie historique ?

La Grande Arménie, un plan vite oublié

1918 ne marque pas vraiment la fin de la Première Guerre mondiale : jusqu’en 1923, de nombreux conflits annexes ont continué à ensanglanter le continent, le principal étant la guerre civile russe. Les Turcs sont à chaque fois impliqués dans ces conflits.

Car la reddition de l’Empire ottoman est de courte durée. Le général Mustafa Kemal, plus connu sous le surnom « Atatürk », s’oppose à l’armistice puis au Traité de Sèvres. Jusqu’en 1923, Atatürk va se battre contre les Alliés, les Russes communistes, les Grecs et les Arméniens.

Les Alliés, épuisés par la Première Guerre, vont se contenter de défendre leurs nouvelles possessions en Mésopotamie et vont dire aux Grecs et aux Arméniens de se démerder pour faire appliquer le traité. Les premiers se font vite refouler d’Anatolie, les seconds vont devoir se mettre sous la protection des communistes.

L’Arménie telle qu’on la connaît aujourd’hui ne retrouvera son indépendance qu’en 1991 avec la fin de l’URSS. Quant à l’Arménie occidentale, vidée de ses populations historiques, elle reste jusqu’à aujourd’hui turque et a été repeuplée par des musulmans turcs ou kurdes.

En résistant, Atatürk s’impose à la tête du pays et achève la mutation de l’Empire ottoman qui devient la Turquie, une république laïque, sans sultan et qui se limite désormais à la seule Anatolie. En gros, il mène à terme le projet des Jeunes-Turcs au pouvoir pendant la guerre, tandis que de nombreux fonctionnaires ottomans ayant organisé le génocide servent de base au nouveau régime. Et puisque la Turquie s’est construite sur cet héritage, impossible pour elle de reconnaître leurs crimes. Ils restent des héros nationaux. Aujourd’hui, des avenus turques portent ainsi le nom d’un criminel contre l’humanité…

1895 : déjà une tentative de génocide avortée

Pour comprendre comment on en arrive là, il faut s’intéresser aux causes du génocide. Ou plutôt des génocides. En effet, plus d’un million d’Arméniens, 500 000 Syriaques et 350 000 Grecs sont victimes des massacres perpétrés par les Jeunes-Turcs, principalement entre l’été 1915 et l’été 1916.

L’Empire ottoman est une entité multi-ethnique et multiconfessionnelle. Jusqu’au XVIIe siècle, il est la principale puissance méditerranéenne, mais le XVIIIe et surtout le XIXe siècle vont voir sa puissance être remise en question.

L'Empire ottoman et les Arméniens

Les États-nations modernes comme la France et le Royaume-Uni ou encore la Russie s’approprient l’Afrique du Nord et le Caucase. Les nationalistes des Balkans rêvent d’indépendance : la Grèce, la Serbie, la Bulgarie s’émancipent peu à peu, jusqu’à repousser les Ottomans d’Europe lors des Guerres balkaniques de 1912-1913.

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À la veille de la Première Guerre, l’Empire n’occupe plus que l’Anatolie et la Mésopotamie et son organisation interne est dépassée. Après une énième guerre, les Occidentaux imposent à l’Empire une constitution qui accorde en théorie tous les mêmes droits aux sujets ottomans et mettent son économie sous tutelle. Le sultan avait bien tenté à la fin du XIXe siècle de recouvrer son pouvoir en utilisant son statut de calife, le chef spirituel des musulmans, et en liguant ces derniers derrière lui face aux chrétiens occidentaux. C’est ce qu’on appelle le panislamisme.

Les Arméniens et les autres chrétiens orthodoxes vivant en Anatolie en sont les victimes : en 1895, 200 000 d’entre eux sont tués par les Turcs et les tribus kurdes à qui ils font faire le sale boulot. Les Occidentaux avaient alors forcé le sultan à stopper le massacre, mais ne pouvaient rien faire pour empêcher les Kurdes de continuer à harceler les paysans chrétiens. Violences et immigration font fondre les populations chrétiennes : en 1878, on dénombre 3 millions d’Arméniens dans l’Empire. En 1914, ils sont deux fois moins nombreux.

Un responsable : le nationalisme turc

Le panislamisme ayant échoué, une autre idéologie gagne les élites turques : le nationalisme. Inspirés par la France des Lumières, les « Jeunes-Turcs » qui prennent le pouvoir en 1908 et en 1913 veulent créer en Anatolie un État-nation à l’occidentale. Problème : les Arméniens, opprimés depuis des années, veulent faire de même.

Le déclenchement de la Première Guerre mondiale est l’occasion pour les « Jeunes-Turcs » les plus radicaux de mettre leur plan à exécution. Les Alliés ne peuvent plus défendre les minorités orthodoxes. De plus, les Russes risquent de trouver des soutiens parmi leurs coreligionnaires. Mieux vaut régler définitivement la question.

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Le résultat de 2000 ans de conquêtes et de brassages ethniques
Ce qui se passe pendant la Première Guerre ?

Après la Première Guerre mondiale, c’est la même logique nationaliste qui anime Atatürk. La guerre avec la Grèce se solde par l’exil des dernières populations grecques présentes en Anatolie. La nouvelle République empêche les survivants des génocides de se réinstaller et s’approprie leurs biens. Les églises orthodoxes sont pillées, détruites ou transformées en mosquée. La région est quasiment unifiée ethniquement et culturellement. Seuls les Kurdes restent. Alliés des Turcs contre les minorités orthodoxes, ils sont désormais les victimes du nationalisme turc, et cela encore aujourd’hui.

Les Kurdes, opprimés en Turquie, massacrés en Irak sous Saddam et qui luttent en Syrie contre les djihadistes rêvent d’un Kurdistan indépendant. Alors qu’ils étaient auparavant en concurrence avec les Arméniens pour le contrôle de l’Est de l’Anatolie, ils utilisent aujourd’hui l’histoire du génocide contre la Turquie, en demandant pardon aux Arméniens pour leur rôle ou en envoyant des représentants aux cérémonies d’hommage. Le Parti pour la paix et la démocratie, pro-kurde, est le seul à reconnaître le génocide en Turquie. À Diyarbakir, la principale ville de la minorité, la culture arménienne est revalorisée

Les Turcs et les Kurdes, du génocides jusqu'à Daesh

Reconnaissance du génocide vs realpolitik

La reconnaissance du génocide est un enjeu diplomatique de premier ordre pour les relations extérieures avec la Turquie, notamment lorsqu’on évoque son intégration au sein de l’Union européenne. Si l’on reprend les différents pays que je cite en exemple au début de l’article, on va voir que chaque prise de position vis-à-vis du génocide reflète avant tout les intérêts politiques de chaque nation.

  • Déjà, quand Chypre reconnaissait le génocide via une loi, c’était une façon pour les Grecs insulaires de protester contre la création d’une république turque indépendante au Nord de l’île.
  • Si l’Allemagne a refusé pendant aussi longtemps de parler de génocide, c’est pour ne pas brusquer la communauté turque du pays, principale minorité étrangère.
  • En France, les lois mémorielles permettent de draguer les 500 000 électeurs d’origine arménienne. Celle condamnant la négation du génocide a été adoptée quelques mois avant les élections de 2012.  La député des Bouches-du-Rhône Valérie Boyer (UMP), est l’une des plus engagées en faveur de la reconnaissance du génocide, alors que la communauté arménienne représente 10% de la population marseillaise…
  • Aux États-Unis, ça se complique. On a parlé à l’occasion du centenaire des hésitations d’Obama à employer le mot tabou. La reconnaissance du génocide était l’une de ses promesses de campagne. Mais la Turquie est le seul membre de l’OTAN au Moyen-Orient. La lutte contre l’Etat islamique à l’heure actuelle, et le menace iranienne depuis des décennies incitent à ménager l’allié turc. Même logique dans le cas d’Israël.
La diaspora arménienne dans le monde
La diaspora arménienne dans le monde

Les Turcs inflexibles sur le sujet ?

Vous l’aurez compris, une reconnaissance des génocides arméniens, grecs et syriaques, à la hauteur de la reconnaissance de l’horreur de la Shoah, ne sera possible que quand la Turquie elle-même aura changé de position sur le sujet. C’est difficile tant la négation du génocide (en tant que suppression organisée et volontaire d’une partie d’un peuple, sa définition internationale) est ancrée dans la société turque. La reconnaissance du génocide pourrait conduire la Turquie à payer des compensations aux descendants des victimes et à l’Arménie, comme l’Allemagne l’avait fait après la Shoah.

Les Turcs parlent de massacres certes, mais de massacres qui auraient touché les deux camps, les Arméniens s’étant retournés contre leurs concitoyens… C’est vrai, mais ça ne concerne qu’une infime partie d’entre eux et face à un génocide, ça se comprend : quand bien même les juifs se seraient révoltés de manière organisée contre les nazis, la Shoah serait toujours qualifiée de génocide ! La définition d’un génocide n’implique pas que la population visée n’exerce aucune résistance !

Bref, la question ici n’est pas d’incriminer les Turcs, qui un siècle après sont innocents. Chaque pays a vécu des heures sombres et en porte encore les cicatrices. La question ici est de soustraire le génocide et les Arméniens de la polémique pour les rendre à l’histoire, celle qui est objective. C’est le seul moyen pour les plaies de cicatriser.

Qu’est-ce qu’une reconnaissance du génocide va changer me direz-vous ? Aujourd’hui, pas grand-chose, si ce n’est rendre aux victimes et à leur famille le respect qui leur est dû. Mais hier, qui sait ? Hitler n’encourageait-il pas les responsables de la Shoah en disant que de toute façon, personne ne se souvenait du sort des Arméniens ?

Si l’on s’écarte de l’histoire pour faire de la fiction, on peut se demander quel visage aurait aujourd’hui le Moyen-Orient si une Arménie orthodoxe forte, de la taille de celle prévue par le Traité de Sèvres, avait subsisté.

Mais la reconnaissance du génocide par la Turquie n’est pas une chimère. Au sein même de la population, outre les Kurdes, de nombreux Turcs s’engagent, notamment ceux qui se découvrent une ascendance arménienne. Pendant le génocide, des milliers d’Arméniens et Arméniennes ont survécu, soit par chance, sauvés par les Russes ou les Alliés, soit grâce à l’aide de musulmans écœurés par la situation, soit pour les plus malheureux en étant kidnappés, réduits en esclavage ou mariées de force avec des Turcs et des Kurdes.

Leurs descendants ne savaient rien de leurs racines. Ceux qui les découvrent aujourd’hui cultivent l’espoir d’une prise de conscience au sein de la société turque dont le fruit, on ne peut que l’espérer, sera la reconnaissance du génocide et à terme, la réconciliation entre ces peuples déchirés.

Crédit photo : Getty image, Wikimédia

 

Le 23 avril 2013, après 136 heures de débats, l’Assemblée nationale votait la loi dite du « mariage pour tous ». Le même jour, je publiais le texte qui va suivre et dans lequel j’explique pourquoi le mariage, après tout, on s’en fout un peu…

Le vote du mariage gay, si vous l’aviez oublié, c’était encore la belle époque : pendant plusieurs mois, la France n’avait d’autres préoccupations que de savoir si les homosexuels avaient les mêmes droits que les autres citoyens. Pros ou antis mariage gay passaient leurs journées à manifester… Au diable la crise économique, la guerre en Syrie ou la montée du FN ! C’est de l’avenir de la France dont il était alors question !

Mariage_gay_ANFAD_CC_Flickr

Deux ans plus tard, on peut bien en rigoler. À part la question anecdotique de l’adoption, et celle bien plus problématique de la PMA (et toutes les dérives que cela peut occasionner, du genre louer le ventre d’une mère indienne pour 1500 euros – un cas mis en avant avec fierté par le 20h de France 2 à l’époque, si si), le sujet du mariage gay semble entré dans les mœurs : 68% des Français s’y déclarent favorables.

En 2014, 4% des 241 000 mariages célébrés en France concernaient des personnes du même sexe, soit 10 000 unions homosexuelles, dans la lignée des 7500 mariages prononcés en 2013. Mais si le mariage gay est en hausse (sans doute sous l’effet de son autorisation) le mariage en général est un phénomène en recul : en 2012, un total de 251 000 unions étaient célébrées.

Ainsi, si l’on considère que le mariage gay ne concerne qu’une infime partie de la population (il y avait seulement 100 000 couples homosexuels en France en 2011 selon l’INSEE) et que le mariage est une institution sur le déclin, on peut en conclure que ce débat était un faux débat.

Voilà ce que j’en disais il y a deux ans.

Le mariage, une institution dépassée ?

L’union sacrée entre deux êtres que représente le mariage est, selon l’expression consacrée, aussi vieille que le monde. Les lois d’Eshnunna, découvertes sur des tablettes en Iraq sur un site de l’antique Mésopotamie et qui précèdent le fameux Code d’Hammurabi exposé au Louvre, fixent déjà, 2000 ans avant J-C, le cadre législatif d’une telle union : accords des parents mutuels, arrangements financiers, clauses de rupture ! Le romantisme, rappelons le, ne sera inventé qu’au 18e siècle.

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Bien que la mythologie antique et même les chansons de geste médiévales recèlent des histoires d’amour, le mariage à l’époque, c’est avant tout du business. Les ressources étaient rares et précieuses, la prospérité basée sur la poussée démographique et territoriale… Le mariage est un outil diplomatique permettant à la fois de rapprocher et réunir les richesses de deux clans et d’assurer le brassage génétique.

Dès lors le mariage devient la « clef de voûte de l’édifice social » comme l’indique l’historien Georges Duby dans Le Chevalier, la Femme et le Prêtre : « Les rites du mariage sont institués afin d’assurer la répartition des femmes entre les hommes, discipliner autour d’elles la compétition masculine, officialiser et socialiser la pro-création ». En attendant la découverte de l’ADN et les tests de paternité, le mariage est avant tout un moyen d’assurer la filiation… (après la monogamie, comme on vous l’explique ici !)

Sont considérés comme légitimes les enfants nés dans le cadre du mariage. Cette filiation permet alors la transmission du patrimoine accumulé par les générations / les unions précédentes. Dans une société médiévale où la noblesse – à commencer par le roi, charge héréditaire – est toute puissante, le mariage prend une place prédominante.

Mariage économique vs mariage d’amour

Mais l’abolition des privilèges héréditaires et le développement économique liés aux révolutions politiques et industrielles vont changer la donne. La séparation de la religion et de l’Etat, l’élargissement des droits des femmes (divorce) et l’enrichissement lié à la révolution industrielle et à l’ascenseur social rendent obsolètes les mariages arrangés.

Dans son dernier livre De l’Amour. Une philosophie pour le 21e siècle, Luc Ferry fait l’apologie du mariage d’amour, « la naissance de la famille moderne, enracinée dans le passage du mariage arrangé au mariage choisi par et pour l’amour. » Mais l’amour, contrairement aux mariages arrangés, n’est pas inscrit dans le marbre. L’augmentation du nombre des divorces et des familles recomposées le prouve : pour 251 000 mariages en 2012, soit 10 000 en moins qu’un an plus tôt, l’INSEE décompte 133 000 divorces.

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Dans le même temps le nombre de PACS atteint 205 000… Car depuis 1999, existent aussi les statuts de concubin et de partenaire qui apportent un cadre législatif au foyer. Le mariage n’est en effet plus la « situation juridique » propice pour « organiser une vie commune » et « préparer la création d’une famille » comme on peut le lire dans la plupart des descriptions.

En 1965, seulement 5,9% des naissances avaient lieu hors mariage. Un chiffre qui a atteint l’an passé 56,6% selon l’INED.

Sans réelle dimension économique exclusive, sans réelle valeur pour prouver une filiation, mis à mal par l’augmentation des divorces et des naissances hors mariage, le mariage apparaît alors comme une coquille vide par rapport à ses buts initiaux.

Pas de quoi fouetter un chat donc, ni battre le pavé, alors que la France doit faire face à des phénomènes autrement plus préoccupants (installation du chômage, absence de reprise économique, affaiblissement de la gauche face à l’extrême-droite)…

Alors pourquoi autant vouloir le mariage gay ?

Pourquoi le refuser ?

Au fil du temps, l’institution du mariage s’est transformée pour coller avec son époque. D’un simple contrat entre famille dans l’antiquité, la morale catholique médiévale l’a doté de rites sacrés avant que l’époque moderne n’en fasse un cadre basé sur l’amour du conjoint et de ses enfants.

Aujourd’hui, le mariage s’apprête à endosser un nouveau rôle.

Celui du symbole d’une société plus ouverte et égalitaire?

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Crédit photo : Purple Sherbet Photography et Association Nationale de Formation à l’Actualité et aux Documentaires (ANFAD).

Des propos de Zlatan Ibrahimovic suite au match Bordeaux-Paris, aux mots doux de Dimitri Payet après le but non accordé lors de l’Olympico, l’arbitrage français était dans le dur lors de la 29ème journée du championnat de France de football.

Je ne vais pas m’étendre sur la connerie de faire des footballeurs professionnels des modèles pour la jeunesse. Ou sur la connerie de donner autant de valeur aux propos de mecs qui viennent de passer 90 minutes à se défoncer sur un terrain, pour rien, et cela suite aux décisions malheureuses et souvent excusables des arbitres.

Mais si Zlatan n’est surement pas un exemple pour la jeunesse, il n’en reste pas moins un professionnel du football, à même de donner un avis sur l’arbitrage d’une rencontre : celui qui, « en 15 ans de carrière » n’avait « jamais vu un arbitre aussi nul » est tout de même passé depuis l’an 2000 par les championnats des Pays-Bas, d’Italie, d’Espagne et de France, au sein des clubs les plus prestigieux de chaque pays et en remportant à chaque fois le titre national.

Et la vedette du PSG n’est pas la seule à mettre en avant la faiblesse de l’arbitrage hexagonal : les présidents, comme Jean-Michel Aulas (Lyon), les entraîneurs, comme Leonardo Jardim (Monaco) et bien sûr les joueurs ne se privent pas. De quoi s’interroger.

Pas d’arbitre Français dans « l’élite » mondiale

Le choix des officiels qui arbitrent les grandes compétitions internationales fait écho aux critiques d’Ibra. L’UEFA et la FIFA classent les arbitres en quatre catégories : un nouvel arbitre doit grimper les échelons et atteindre la catégorie « élite » pour espérer officier lors d’une phase finale de Coupe du Monde ou d’Europe et lors de la phase éliminatoire d’une compétition comme la Ligue des Champions.

Pourtant, si les Français sont aussi nombreux que les arbitres issus des autres grands championnats sur la liste de la FIFA, aucun n’est dans la catégorie élite depuis la retraite de Stéphane Lannoy en décembre 2014. Un Stéphane Lannoy qui est le dernier Français à avoir arbitré un match d’une grande compétition internationale, lors de l’Euro 2012 et la Coupe de Monde 2010. Handicapé par une blessure, il n’avait pas été retenu pour la dernière Coupe du Monde au Brésil. La France était aussi absente de l’arbitrage de l’Euro 2008. Interrogé, Michel Platini, déjà président de l’UEFA, avait expliqué : « c’est simple, nous avons pris les meilleurs. »

Même constat au niveau des compétitions de clubs : la retraite de Stéphane Lannoy est synonyme d’absence d’arbitre français en Ligue des Champions jusqu’à la fin de la saison, quand on pouvait compter deux Allemands, deux Anglais, deux Espagnols ou encore deux Italiens au sifflet des derniers huitièmes de finales qui se sont achevés cette semaine. C’est d’ailleurs Stéphane Lannoy qui a officié lors des deux derniers matchs de phase éliminatoire de Ligue des Champions arbitrés par un Français : un quart de finale en 2013 et un huitième de finale en 2014.

Aucun Français n’a arbitré une finale depuis 2001, et c’était la Coupe de l’UEFA ! Pour la Ligue des Champions, il faut revenir en 1986 pour voir un Français officier, alors que depuis, les Allemands et les Italiens ont arbitré cinq finales chacun. Toujours dans cette compétition, on n’a pas vu un arbitre français en demi-finale depuis 2006 !

Et nombreux sont ceux qui craignent de ne pas voir de Français sélectionnés pour la prochaine grande compétition internationale, l’Euro 2016, qui se tiendra pourtant en France ! Seulement deux des trois arbitres français de la catégorie 1, l’antichambre du groupe élite, sont candidats à une montée : Clément Turpin et Ruddy Buquet.

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Ce semestre, la France ne compte que trois arbitres en catégorie 1 et aucun en élite

Si les deux jeunes arbitres ont le temps d’intégrer le groupe élite avant l’été 2016, les phases de promotion ayant lieu tous les six mois, on notera que seul Clément Turpin semble avoir l’expérience pour y parvenir : il a arbitré trois matchs de phase de qualification de la Ligue des Champions, ce qui le place dans la moyenne des arbitres sélectionnés.

Malheureusement, il n’aura pas l’opportunité d’engranger de l’expérience lors des prochains mois et une première short-list pour l’Euro 2016 sera réalisée en octobre 2015. Or la phase finale de la Ligue des Champions ne reprend que fin septembre, et Clément Turpin aura peu de matchs pour s’illustrer.

Les arbitres français, trop physiques et trop rigoureux

Les raisons évoquées pour justifier cette absence au plus haut niveau international sont par exemple le manque de lobbying de la France et le faible niveau d’anglais de son corps arbitral. Insuffisant toutefois pour remettre en cause les qualités intrinsèques de nos arbitres.

D’autres mettent le doigt sur une préparation trop axée sur le physique, et pas assez sur la tactique ou la psychologie. Les arbitres français auraient du mal à supporter la pression des grands rendez-vous et auraient des difficultés à s’adapter au style de jeu des équipes. Lors de la dernière Coupe du Monde, la FIFA avait insisté sur l’importance de la « lecture du jeu », de la « reconnaissance des approches tactiques des équipes dans chaque match » et de la « personnalité de l’arbitre ».

La Commission fédérale des arbitres et la Direction Technique Nationale ont depuis lancé début 2014 un plan de réforme. Mais il faut du temps pour que cette mesure porte ses fruits. En attendant, les rendez-vous internationaux manqués par les arbitres français pèsent dans l’argumentation visant à démontrer leurs faiblesses.

« Une paresse intellectuelle » selon Eric Borghini, président de la Commission fédérale. Interrogé par le Point, il prévient toutefois : « Je vous donne rendez-vous en juin 2015 pour critiquer notre bilan (à l’occasion de la prochaine phase de promotion, ndlr). C’est ce classement, délivré au printemps prochain, qui sera décisif et qui nous indiquera le vrai niveau de l’arbitrage français. Pour l’heure, rien ne sert de crier au loup ! »

Car l’arbitrage à la française n’a pas que des mauvais côtés. Si on lui reproche de trop sacrifier le jeu sur l’autel d’une lecture rigoureuse du règlement, ce dernier point permet souvent de protéger les joueurs. C’est le constat partagé par Bruno Derrien, ancien officiel international, et Marc Libbra, ex-joueur de l’Olympique de Marseille, au moment de l’annonce de l’absence d’arbitre français au Brésil.

« J’ai toujours regretté (…) qu’on ait donné comme priorité le physique aux arbitres français. (…) J’ai le sentiment qu’on a un peu aseptisé les personnalités au cours de la dernière décennie. On a un peu robotisé tout cela. Certains sont devenus des machines à carton » commente le premier pour le Figaro, tandis que le second dresse un parallèle avec le football anglais à l’antenne de l’Equipe 21: « quand je vois l’agression qu’a subie Nasri et que Mapou Yanga-Mbiwa prend juste un jaune… Et Ben Arfa qui perd une partie de sa carrière sur un tacle assassin… En Angleterre, presque tout est permis. En France, on privilégie la sécurité des joueurs. » Quitte à siffler un peu trop.

Reste quelques bourdes, qui remettent en question les efforts du plan de réforme : on pense par exemple au carton rouge adressé en première partie de saison par Nicolas Rainville à Edinson Cavani (PSG), alors que celui-ci fêtait un but contre Lens en mimant l’utilisation d’une arme à feu. Un geste récurrent et jamais sanctionné. Pourtant, les arbitres qui commettent ce genre d’erreur restent la plupart du temps dans l’élite des arbitres hexagonaux et empêchent d’autres jeunes officiels de prendre leur place et de se faire une expérience.

C’est un reproche que fait Frédéric Arnault, ancien arbitre international, à Stéphane Lannoy, le premier jugeant que le second n’aurait jamais dû continuer à être arbitre français numéro 1 après sa prestation lors du mondial 2010 : « Aucune remise en cause de la part de ses supérieurs. C’est la continuité dans la médiocrité : on n’a pas laissé la chance à un autre arbitre qui aurait pu se faire les dents. »

Mais les instances arbitrales françaises doivent faire face à une pénurie de volontaires, souvent découragés par la pression des joueurs, des supporters ou des médias. En 2006 – 2007, la Fédération française recensait plus de 28 000 arbitres, contre moins de 25 000 il y a deux ans indique le Monde.

Ceux qui acceptent ces conditions difficiles au plus haut niveau sont bien rémunérés : en moyenne 50 000 euros annuels pour un arbitre de L2, plus aux échelons supérieurs. C’est quatre à cinq fois plus qu’il y a quinze ans. De quoi bien vivre, mais pas de quoi entretenir une véritable passion du jeu, dénuée d’arrière-pensées. « À l’image des footballeurs français qui voient davantage leur sport comme un métier (…) que comme une passion (…), on dirait que l’arbitre est aujourd’hui surtout carriériste et se contente du minimum syndical dans sa préparation » assène Frédéric Arnault, toujours pour le Point.

L’hebdomadaire conclut que la baisse de la concurrence et cet esprit carriériste, qu’il ne faut sans doute pas généraliser, conduisent « à un nivellement par le bas ».

Quid de l’assistance technologique ?

Tout le monde en conviendra, être arbitre ne signifie pas être infaillible. Bien que le règlement ne soit pas des plus compliqués, il est souvent très difficile de juger dans le feu de l’action : « un arbitre prend 250 décisions par match, pour une cinquantaine de coups de sifflet, avec à chaque fois un temps de réaction proche de la seconde » indique Stéphane Lannoy.

De quoi relancer la polémique autour de l’assistance technologique, notamment après le but non accordé de l’OM face à Lyon. Sans aller jusqu’à l’arbitrage vidéo, qui engendre un débat fondé, le recours à la technologie de la Goal Line semble être un bon début. Utilisée lors du dernier Mondial au Brésil et en championnat d’Angleterre, elle prévient l’arbitre quand un ballon franchit la ligne de but.

« Si les Anglais ont la Goal Line, je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas l’avoir nous aussi ! Quand on sait l’importance de chaque but dans un championnat comme le nôtre, ça éviterait des polémiques » argue Michel Seydoux, président du Lille Olympique, sur FootMercato.net : « c’est différent de l’arbitrage vidéo, c’est une technologie qui est déjà approuvée. Le but (non accordé) d’OM-OL a une importance économique très difficile à chiffrer, mais certaine. Pour l’instant, les règles du football international n’ont pas validé l’arbitrage vidéo, mais elles ont validé la Goal Line, alors autant s’en servir… »

Mais l’investissement de 200 000 à 400 000 euros nécessaire pour équiper chaque stade rebute la Ligue. « La France n’a pas les moyens » prévient Frédéric Thiriez, son président, d’autant que les coûts de fonctionnement ne sont ici pas pris en compte. Un argument utilisé également par l’UEFA au sujet de ses compétitions européennes, mais qui n’a effrayé ni l’Allemagne, ni l’Italie, qui disposeront de la Goal Line l’an prochain.

Reste à savoir si le nombre limité de cas que permet de trancher cette technologie mérite un tel investissement. La Goal Line n’évite pas les pénaltys ou les hors-jeu litigieux. Il faut enfin rappeler que cette polémique n’aurait pas lieu si l’arbitre de l’Olympico avait sifflé une faute d’Ocampos sur Lopez, le goal lyonnais, au moment du but.

Plus que l’enjeu économique, c’est l’aspect sportif qui est le plus impacté. « Ça donne une image catastrophique de notre arbitrage ! Quand les gens de l’UEFA et de la FIFA voient ça, que pensent-ils ? Que les Français sont nuls ! C’est un sommet du championnat et le résultat est faussé. On arrive à la phase où le titre de champion, comme la relégation, sont des questions de chance ou de malchance arbitrales » déplore Bernard Caïazzo, le président du comité de surveillance de l’AS Saint-Étienne, qui milite pour l’assistance technologique.

Selon le site Arbitragevideo.fr, qui s’amuse à éditer le classement de la L1 sans l’impact des erreurs d’arbitrage, le PSG devrait normalement compter trois points supplémentaires, contre un point en moins pour l’OM et l’OL. De quoi modifier significativement la course au titre.

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Avec 3pts supplémentaires, Lorient passe de la 17e à la 11e place, tandis que Reims, en perdant 3pts, se trouve mêlé à la lutte pour le maintien

Bien sûr, un tel exercice reste très imprécis et quand par exemple Arbitragevideo.fr indique que l’OM bénéficie d’un point supplémentaire lié à une erreur d’arbitrage, le club phocéen est pénalisé de trois points selon Eurosport.

Un rapport d’Oxford sorti en 2013 évalue que d’ici 2033, 47% des emplois actuels seront automatisés.

J‘ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer, au cours des 20 prochaines années, les progrès en automation et en intelligence artificielle vont mettre une grande partie d’entre nous au chômage. Cet avis est partagé chaque jour par de plus en plus d’experts et de personnes plus intelligentes et plus au courant que vous et moi (Le plus connu étant Bill Gates ). Pire cela touchera des métiers très qualifiés que l’on pensait jusqu’alors réservés aux humains : médecins, journalistes, avocats… Vous êtes libre de penser que je suis un sale fabulateur pessimiste. Mais avant, lisez ce qui suit et laissez-moi vous convaincre.

C’est déjà arrivé plein de fois

Bon, avant de parler réellement de ce sujet, on va être obligés de faire un petit peu d’Histoire. Ouais je sais c’est du passé tout ça mais croyez-moi ça va vraiment nous aider à comprendre ce qu’il va se passer.

Donc, on revient en 1750, il faut savoir qu’à l’époque la société était légèrement différente. Par exemple, 90% des Français travaillaient dans les champs, occupés à produire la nourriture pour eux-même et les 10% restants qui pouvaient se permettre de faire autre chose de leur vie. Mais nous sommes au 18ème siècle et grâce aux lumières, les gens commencent à se dire « venez on se met à réfléchir et à rationaliser un peu les choses ». Progressivement on va commencer à trouver des moyens d’aider les fermiers à être plus productifs, on optimise les techniques de culture, on invente de nouvelles machines.

Tout s’est fait jusqu’à aujourd’hui où en gros 1% des Français produisent assez pour nourrir les 99% autres (et plus encore, à vrai dire, 1/3 de la nourriture produite dans le monde aujourd’hui est gaspillée, ça fait 1,3 milliard de tonnes, assez pour vaincre la faim dans le monde, indignons-nous les amis).

On est donc passé de 90% de fermiers à 1%, c’est une des conséquences du progrès technologique, on devient plus productifs et du coup des emplois sont détruits. Mais ça s’est fait en 250 ans et entre temps le progrès à créer de nouveaux secteurs et pleins de nouveaux emplois. Notre ami Joseph Schumpeter appelle ça la destruction créatrice (une expression qui devrait dire quelque chose à ceux qui ont choisi de faire un bac ES).

C’est donc un phénomène économique accepté et qui s’est produit plein de fois, les fermiers sont devenus ouvriers pendant la révolution industrielle au 19ème siècle, plus récemment Internet a détruit des millions d’emplois dans le monde (demandez aux vendeurs d’encyclopédies).

Avant l'arrivée des moteurs à explosion, les chevaux connaissaient le plein emploi.
Avant l’arrivée des moteurs à explosion, les chevaux connaissaient le plein emploi.
Les "knocker-up" qui tapaient sur les fenêtres des gens le matin ont disparu avec l'invention du réveil
Les « knocker-up » qui tapaient sur les fenêtres des gens le matin ont disparu avec l’invention du réveil
robot fabriquant des voitures dans une usine
Les ouvriers ont été remplacés par des machines (ok, ou des Chinois) et sont devenus des employés.

Mais ce qui s’est plutôt passé jusqu’à il y a une vingtaine d’années, c’est qu’on remplaçait principalement le travail du muscle. La technologie nous a libéré des métiers manuels qui sont devenus plus rares ce qui a poussé la majorité des gens à faire des études et à chercher à vendre leur cerveau plutôt que leurs bras sur le marché du travail. (une choses que n’ont pas su faire les chevaux cités plus haut par exemple, résultat les trucs glandent plus rien à part brouter dans les prairies)

Mais voilà le problème, les progrès en informatique, en algorithme et en intelligence artificielle sont tels qu’il permettront de plus en plus aux machines de remplacer notre travail intellectuel.

Cette fois c’est différent

Vous allez me dire que c’est un nouveau cycle de destruction créatrice comme Schumpeter les aimait tant, que l’Histoire se répète et que les nouvelles technologies et le travail « intellectuel » des machines vont certes faire disparaître des emplois mais vont également en créer puisque par exemple, il faut bien concevoir et entretenir ces robots.

Alors c’est vrai de nouveaux emplois vont être créés mais cette fois le gain ne compensera pas la perte et on va voir pourquoi.

On vit une époque formidable !

Quelque chose de complètement fou est en train de se passer. Le futurologue et informaticien Raymond Kurzweil estime dans son livre the singularity is near que depuis l’an 2000, l’humanité a fait autant de progrès que ce qu’elle avait réalisé pendant la totalité du XXème siècle. Encore mieux, d’ici 2021, en 6 ans donc, nous auront réalisé autant de progrès que durant la période 2000-2014. Et tout ça va s’accélérer encore et encore, de façon exponentielle et Raymond Kurzweil pense qu’il n’est insensé de penser que dans la deuxième moitié du 21ème siècle, la somme des progrès réalisés pendant la totalité du XXème siècle sera atteinte régulièrement en quelques semaines.

Et c’est parfaitement logique, jamais dans l’Histoire de l’humanité, autant de scientifiques n’avaient travaillé dans autant de domaines différents. En plus, les outils dont disposent ces scientifiques n’ont jamais été aussi sophistiqués et connectés.

Dans ce contexte, les découvertes et les progrès technologiques augmentent mécaniquement de façon exponentielle, pour vous montrer le principe je vous ai fait avec amour ce graphique :

Voilà qui résume l'idée.

Même si les calculs de Raymond Kurzwell sont subjectifs et donc contestables, il suffit simplement d’observer l’histoire et l’actualité technologique pour voir que le rythme d’innovation s’accélère.

Vous me voyez venir ? Le passage de 90% de fermier à 1% s’est fait en 250 ans, notre société a largement eu le temps de s’adapter. Pour l’arrivée d’Internet ça a déjà été plus compliqué, nos sociétés commencent à peine à accepter Internet comme un truc plutôt important et qui va le devenir encore plus. Les prochaines grandes innovations vont arriver de plus en plus vite et il sera de plus en plus difficile pour nos sociétés de suivre la cadence.

Et il n’y a pas que ça, si le travail intellectuel commence à être automatisé, on fait quoi après ?

Souvenez-vous du cheval qui a cessé de travailler pour l’homme à partir du moment où le travail manuel n’était plus tant recherché. Nous, on a pu se mettre au travail intellectuel donc on s’en est sorti. Mais si le travail intellectuel commence à être automatisé ? Ben on va se reconvertir dans quoi ?

Quelques exemples de secteurs dans lesquels les machines vont nous voler notre travail

they-took-our-jobs

Alors déjà on va recadrer les choses. Quand vous pensez à des machines vous pensez peut-être instinctivement à quelque chose comme ça :

bender-futurama

Ce n’est pas vraiment de cela que l’on parle ici mais plutôt d’intelligence artificielle. Ainsi l’IA n’a pas forcément besoin d’avoir un « corps » ou quelconque représentation physique, fondamentalement il s’agit juste de lignes de codes.

Bref, pour savoir comment les machines peuvent travailler à notre place, pas besoin de sortir sa boule de cristal, il suffit de regarder les technologies prometteuses actuelles.

D’abord les professions peu qualifiées

L’automation de professions commence à se voir dans des secteurs d’emplois peu qualifiés mais pourtant autrefois exclusivement occupés par des humains.

Un premier exemple est celui des manutentionnaires dans les entrepôts, même si une grande partie de la logistique est automatisée, il a toujours fallu du personnel bien humain pour organiser les commandes.

Amazon a trouvé le moyen de diminuer drastiquement le nombre de manutentionnaires. L’entreprise est en train de déployer une armée de robots :


Les nouveaux robots qui gèrent les entrepôts… by tuxboard

On pourrait parler également des caisses automatiques dans les supermarchés ou les cinémas, des employés sont toujours nécessaires mais au lieu de 10 caissier(e)s, on peut avoir 10 caisses automatiques gérées par un seul employé.

Un autre secteur qui pourrait être touché prochainement par l’automation est celui du transport.

Il est intéressant de voir toutes les manifestations récentes des chauffeurs de taxis mécontents de se voir concurrencer par Uber. En fait ce que font les taxis revient à protéger sa maison du vent alors qu’un tsunami arrive et va tout raser.

Voici le tsunami en question :

Google's own self-driving cars, no steering wheel
Oui c’est un tsunami tout mignon

Voici donc la Google Car, au cas où vous n’en auriez jamais entendu parler, il s’agit d’une voiture qui se conduit toute seule, ses caméras analysent l’environnement et envoient les commandes à la voiture.

La voiture a déjà parcouru des centaines de milliers de kilomètres sans avoir un accident et une nouvelle version va être testée en 2015. Google vient même d’annoncer qu’il ambitionnait de créer un système de taxi style Uber avec ces voitures. Alors cette technologie n’est pas encore parfaitement opérationnelle certes mais qu’en sera-t-il en 2030 après trois 20ème siècle d’avancées technologiques ?

Si les voitures sans conducteurs deviennent opérationnelles, ce sont des centaines de milliers d’emplois (routiers, livreurs, chauffeurs de taxi, de bus)qui seront rendus de facto obsolète car trop chers (oui, un robot ne demande ni salaire, ni repos, ni congés, ni sommeil).

Alors oui, certaines personnes continueront de payer des chauffeurs humains mais la majorité, qui cherche à se déplacer d’un point A à un point B consentira volontiers à moins payer même si ça lui coûte de se priver d‘un chauffeur de taxi relou qui écoute RMC à fond.

Puis les professions qualifiées

Il est vrai qu’avec ces exemples on pourrait penser que les emplois plus qualifiés seront épargnés et que l’automation n’est pas une si mauvaise chose si elle fait disparaître les emplois peu qualifiés et peu stimulants

Mais comment une machine pourrait-elle remplacer des emplois plus qualifiés ? Il y a trop de choses à prendre en compte, trop de variables et il semblerait que programmer un logiciel aussi complexe soit impossible.

C’est le moment de parler de l’entreprise Deepmind. Cette start-up est spécialisée dans la conception d’intelligences artificielles et ses premiers résultats sont prometteurs. En effet, Deepmind est pionnier dans ce que l’on appelle le machine learning.

Le machine learning consiste à créer des logiciels capables d’apprendre par eux-mêmes et de réécrire leur propre code pour s’adapter. A terme, il n’y aura donc pas besoin de créer des logiciels pour remplacer votre emploi, les logiciels apprendront par eux-mêmes; une chose à la fois incroyable et terrifiante.

(Au passage Deepmind a été racheté par Google récemment, oui surveillez Google ils sont dans tous les bons coups…).

Un rapport d’Oxford sorti en 2013 évalue que d’ici 2033, 47% des emplois actuels seront automatisés et parmi ces emplois certains sont très qualifiés, voici quelques exemples :

La majorité des spéculations effectuées en bourse aujourd’hui sont déjà effectuées par des algorithmes et il y a fort à parier que la proportion d’automates ne va faire qu’augmenter.

Le robot journaliste existe déjà, vous avez même peut-être déjà lu un article rédigé par un bot sans le savoir, cet article par exemple du Los Angeles Time a été généré automatiquement, immédiatement après avoir reçu les informations sur un tremblement de terre qui venait de se produire, le bot a instantanément envoyé son article à un journaliste qui n’a eu qu’à corriger les quelques fautes et à cliquer sur Publish. Ce n’est bien sûr que le début.

Vous pensez que les professions médicales ne seront jamais automatisées ?

Dites bonjour à Watson :)
Dites bonjour à Watson :)

Watson est conçu par IBM et il pourrait bien devenir le meilleur médecin du monde. Il est capable de comprendre les phrases, les questions ainsi que leurs sous-entendus. Il peut alors grâce à son immense base de données médicale, analyser les symptômes et produire un diagnostic médical. Sa nature artificielle le rend plutôt objectif, il a accès à la totalité des connaissances humaines en matière de médecine et il pourra bientôt diagnostiquer des milliers de personnes en même temps où qu’elles soient sur la planète pour peu qu’elles aient un accès internet. En bref, c’est beaucoup mieux que Doctissimo.

Pourquoi vous embêter à aller voir votre généraliste quand vous pouvez accéder depuis votre téléphone au médecin le plus fiable et cultivé du monde ?

Et les professions créatives et sociales ?

Oui ce seront probablement les dernières à être touchées mais elles ne seront pas épargnées. Il est vrai que des choses comme l’art peuvent paraître inaccessibles à une machine et pourtant il est toujours possible d’intellectualiser la créativité. Après tout, notre créativité, notre art est bien issue d’une machine, notre cerveau, qui bien qu’infiniment complexe, n’a rien de magique et suit des processus logiques qui seront sûrement dans un futur lointain parfaitement identifiables.

A propos des professions sociales cela devrait principalement bloquer au niveau culturel puisque le contact humain apparaît comme fondamentalement nécessaire dans beaucoup de situations.

Néanmoins une équipe Russe a déjà annoncé en 2013 avoir créé une IA ayant réussi le test de Turing. Ce test permet de mesurer le niveau d’une intelligence artificielle en la confrontant dans un chat en ligne avec un humain normal. Les deux discutent et si un spectateur n’est pas capable de différencier la machine de l’être humain, le test est passé. Des faiblesses ont été démontrées lors de la réalisation des tests par l’équipe Russe donc on se calme, c’est pas encore I Robot, mais les spécialistes pensent que ce test sera réussi dans de bonnes conditions d’ici quelques années au maximum.

« Merci d’avoir ruiné ma journée, le monde va sombrer dans le chaos si tout le monde est au chômage, c’est cool »

Si nous ne sommes pas préparés, nous pourrions en effet avoir de très gros problèmes. Certains prophétisent une issue cauchemardesque dans laquelle le chômage de masse détruirait l’économie, un cercle vicieux dans lequel la population, privée de salaire ne pourrait consommer, engendrant alors une baisse de la demande des entreprises, les détruisant et augmentant encore plus le chômage.

Alors on est dans la merde ? Peut-être pas.

Lutter contre l’innovation ne fonctionne jamais, une chose que l’industrie de la musique pourra vous confirmer. A mon humble avis, la seule solution est d’accueillir la perspective de l’automation et de la disparition d’une partie du travail comme une chance pour nous émanciper du travail.

Alors oui c’est une pensée radicale, notre société a érigé le travail en valeur absolue. Que demandez-vous à quelqu’un que vous rencontrez pour la première fois ? Le travail est actuellement synonyme d’intégration à la société, une chose que chacun doit faire obligatoirement, chacun doit participer à la société (l’expression « gagner sa vie » en dit long).

Et jusqu’à aujourd’hui ce système a relativement bien fonctionné, tout le monde travaille et participe à produire ce dont les autres ont besoin améliorant ainsi le cadre de vie de tous (ce qui est l’objectif de notre économie à la base je vous rappelle).

Mais dans un monde où les robots peuvent effectuer la majorité des tâches nécessaires pour fournir le meilleur cadre de vie aux humains, pourquoi continuer à voir le travail salarié comme le but ultime ?

Il faudrait alors changer entièrement de modèle et personnellement je n’ai aucune idée de vers quoi on pourrait se diriger.

 

Alors on ne peut pas prédire le futur, peut-être que j’ai écrit cet article pour rien et que vous venez de gâcher 10 minutes à lire un truc qui n’arrivera jamais (si c’est le cas, je m’en excuserai en 2035).

Mais au moins maintenant vous envisagez la chose et si cela arrive, si nos machines arrivent un jour à produire tout ce dont nous avons besoin cela pourrait bien être le plus incroyable progrès de l’Histoire de l’humanité voire l’aube d’un nouveau type de civilisation.

C’est mon avis d’optimiste, vous pouvez donner le vôtre dans les commentaires.

Ah et ne vous inquiétez pas, même si les robots nous prennent notre emploi, il y aura toujours plein de choses à faire, toujours de nouvelles idées à lancer, d’œuvres d’art à créer, de personnes à aider, de projets à réaliser ou d’enfants à élever.

Sources principales :
Discours Ted : Robot will steal your jobs but that’s ok

Waitbutwhy.com : The AI Revolution: the road to superintelligence

CGP Grey : Human need not apply

Slate : Will robots steal your job

Crédits images : Capture du film I Robot (trouvé sur http://www.leblogdefanaworld.fr/)

 

Sir Winston Churchill, a.k.a « le grand homme », militaire, journaliste, écrivain, historien, peintre, homme d’État, prix Nobel de littérature et « défenseur du monde libre »… Le bonhomme pèse. Il est aussi alcoolique, fumeur de havanes, désagréable et menteur, révélant une personnalité aussi complexe que torturée. Il s’est éteint un 24 janvier 1965, il y a cinquante ans.

« Nous sommes tous des vers, mais moi, je crois que je suis un ver luisant. » Pour introduire Winston Spencer-Churchill, j’aurais pu citer la réplique, plus célèbre, faite en 1936 au Premier ministre britannique de l’époque, alors qu’il n’est plus qu’un vieux député marginalisé : « L’histoire dira que vous avez eu tort dans cette affaire… Et si j’en suis certain, c’est parce que c’est moi qui l’écrirai ! »

La même ironie et la même prétention animent les deux citations. Mais je préfère la première, plus modeste et plus touchante, qu’un jeune Winston confie en 1906 à Violet Asquith, qui deviendra sa meilleure amie et accessoirement la grand-mère d’Helena Bonham Carter (Mme Tim Burton). À 32 ou à 62 ans, il sera toujours convaincu de briller par son génie et qu’il accomplira quelque chose de très grand dans sa vie. Jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale, il ne sait pas vraiment quoi et essaie de marquer l’histoire par les armes, par sa plume et par son talent politique.

En 1936, malgré sa tirade prophétique, cela semble peine perdue… Mais, quand il est nommé – enfin ! – Premier ministre en 1940, il sait que ce moment est arrivé. Une fois la victoire acquise, l’historien Churchill (il a déjà écrit une dizaine d’ouvrages sur la Première Guerre mondiale et sur sa famille) s’attelle à la rédaction de ses Mémoires de guerre, un monument de la littérature britannique et de l’historiographie du conflit mondial.

Winston Churchill aura donc bien marqué l’histoire. Et puisqu’il en est le narrateur, il s’attachera à ce qu’elle lui soit favorable : jusque-là cantonné aux seconds rôles, il ne laissera rien ternir son heure de gloire. Anti-nazi et anti-communiste de la première heure, ultime défenseur de son peuple à qui il ne promet que « du sang, de la sueur et des larmes », celui qui s’impose aujourd’hui comme « LA » figure britannique dans l’imaginaire collectif, avec son air de bouledogue anglais, son cigare et son verre de scotch, est l’auteur de sa propre légende dorée.

Il oublie alors certains faits ou certaines opinions, n’hésite pas à présenter les choses selon ses intérêts politiques du moment… C’est bien là la difficulté de faire l’histoire tout en l’écrivant ! Un demi-siècle après sa mort, les historiens ont pris soin de revisiter le mythe, mettant en avant les contradictions et les erreurs de jugement d’un homme pétri d’ambition et d’orgueil, souvent opportuniste, habitué aux fiascos et qui n’a jamais vraiment fait l’unanimité auprès de ses concitoyens.

Je préfère retenir le parcours d’un jeune aristocrate à qui rien n’était promis, d’un élève dissipé et méprisé par son père, d’un « anti-conformiste mondain », lucide sur ses forces et ses faiblesses, travailleur acharné qui a toujours fait passer la gloire de sa nation – et la sienne – avant sa propre santé et au péril de sa vie.

« A-t-on déjà vu un homme doté d’un si beau style entamer la narration de si grands événements après avoir occupé de si hautes fonctions ? », demande François Kersaudy, l’un de ses biographes et traducteurs de ses Mémoires, en avant-propos de cet ouvrage qui vaudra à Churchill, en plus de ses discours, son Nobel en 1953. « La narration des exploits de l’un des trois plus grands hommes d’État du siècle, par l’un des trois plus grands écrivains anglais de l’époque » ajoute-t-il quelques pages plus loin.

Pour Philippe Conrad, directeur éditorial de La Nouvelle Revue d’Histoire, qui consacre la Une de son numéro janvier-février 2015 à Churchill, « la destinée » de ce dernier « témoigne du rôle majeur que peuvent jouer certains hommes d’exception pour orienter le cours des choses et affirmer, en des conséquences particulières, le chemin de la puissance ou la voie du salut pour une nation ou pour un peuple. »

Enfin, il faut citer De Gaulle qui, bien que souvent opposé à Churchill, le désigne comme «  le grand champion d’une grande entreprise et le grand artiste d’une grande histoire. »

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Churchill adore peindre pour se détendre dans les moments de tension et de déprime. Ici en 1943 à Genève. Il dira souvent : « Quand j’arriverai au paradis, je passerai mon premier million d’années à peindre pour m’améliorer. »
Cet article résumé au travers de ses citations les plus célèbres

Les Ducs de Marlborough, la blessure paternelle et la carrière militaire

      • Winston Churchill est issu des Ducs de Marlborough. Le 1er Duc, John Churchill, est un opportuniste, comme lui, qui marque l’histoire par ses succès militaires contre les armées de Louis XIV et la chanson Malbrough s’en va-t-en guerre.
      • Le père de Winston est un cadet qui laisse filer le titre de Duc et ne peut donc siéger à la Chambre des Lords avec les autres nobles. Pour faire de la politique, il devient député de la Chambre des Communes. Il méprise son fils et meurt alors que ce dernier a 21 ans. Churchill sera obsédé par la gloire et voudra prendre sa revanche sur la vie.
      • Il cherche d’abord à l’obtenir par les armes, se distinguant dans plusieurs campagnes militaires. Il devient également correspondant de guerre et rédige ses premiers livres sur les événements auxquels il assiste. Sa notoriété lui permet de se lancer en politique, dans les pas de son père.

Winston Churchill descend des Ducs de Marlborough : son ancêtre, John Churchill, est une figure de l’histoire anglaise de la fin du XVIIe au début du XVIIIe. Général et confident du catholique Jacques II Stuart, il n’hésite pas à trahir ce dernier en 1688, quand Guillaume d’Orange, prince protestant hollandais et également neveu et gendre de Jacques s’empare du pouvoir. Oui, neveu et gendre, c’est consanguin et plutôt dérangeant.

Disgracié en 1692, « regracié » en 1698, John Churchill s’illustre lors de la Guerre de Succession d’Espagne contre les armées de Louis XIV. Il obtient en 1702 le titre de Duc de Marlborough, bien aidé par sa femme qui est l’amie intime d’Anne Stuart, la dernière de la dynastie. S’il n’a pas de lien direct avec les cigarettes Marlboro, il reste célèbre grâce à la chanson Malbrough s’en va-t-en guerre. À nouveau déchu en 1711, il part vivre en Allemagne. Heureusement pour lui, pour le Royaume-Uni et le monde libre du XXe siècle, il devient proche du grand Électeur de Hanovre, futur George Ier d’Angleterre en 1714, qui le rétablit dans ses titres et ses biens : il aurait été plutôt drôle que Winston Churchill soit Allemand.

Bref, tout cela pour montrer qu’on a le flair dans la famille : John ou Winston, les deux ont toujours su être là au bon moment quand il s’agit du pouvoir, quitte à retourner un peu sa veste. D’abord conservateur, Churchill rejoindra en 1906 un gouvernement libéral, traversant « la salle », c’est-à-dire passant d’un côté à l’autre de la Chambre des Communes, l’organe législatif outre-Manche.

Le poids des ambitions paternelles

Son grand-père est le 7e Duc. Winston naît en 1874 au Blenheim Palace, demeure familiale et seul château britannique, hormis ceux de la famille royale, à porter le titre de palais. Son père, Randolph, fils cadet, laisse filer le titre et se fait un nom en tant qu’homme politique. Il mourra lui aussi un 24 janvier, en 1895, emporté par la syphilis.

« Aujourd’hui, nous sommes le 24 janvier. C’est le jour où mon père est mort. C’est le jour où je mourrai moi aussi » aurait-dit Churchill en 1953 selon son biographe Frédéric Ferney, auteur du récent essai Tu seras un raté mon fils !. On peut prendre cette citation comme une des innombrables prédictions mystiques de Sir Winston. Sans mettre en cause son « sens » de l’intuition, je préfère conjuguer le verbe mourir à l’imparfait et y voir l’aveu de la souffrance provoquée par le manque d’affection et de reconnaissance paternelle dont il sera victime. De nombreux auteurs en font d’ailleurs le moteur de la quête de gloire de Churchill.

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1881 / 1889, avant d’entrer à l’école puis à Harrow

Avec un père plus intéressé par sa vie politique que par sa vie familiale et une mère, fille d’un riche magnat des médias new-yorkais, attirée par les mondanités, le jeune Winston a une enfance solitaire. Plus tard, il dira du premier qu’il a « grandi dans la poche de son gilet, oublié comme un penny » et de la seconde qu’elle « brillait comme l’étoile du soir ; je l’adorais, mais de loin ». En bon enfant pourri gâté, il est dissipé en cours et s’intéresse peu à l’école. Dans une lettre à sa mère, il écrit à 12 ans : « lorsque je n’ai rien à faire, ça ne me dérange pas de travailler un peu, mais lorsque j’ai le sentiment qu’on me force la main, c’est contraire à mes principes. » On imagine mal qu’il a des problèmes d’élocution et que son père lui dira : « ce que tu écris, mon pauvre Winston, est stupide. » Il lui reproche son orthographe et son « style pédant d’écolier attardé. »

Ses résultats sont insuffisants pour qu’il puisse envisager des études en droit ou en politique. Selon Churchill, son père l’oriente vers une carrière militaire après une inspection de son armée de soldats de plomb : « les troupes étaient disposées en formation d’attaque réglementaire. Avec un œil expert et un sourire fascinant, mon père a passé vingt minutes à étudier la scène (…) Après quoi il m’a demandé si j’aimerais entrer dans l’armée. (…) Pendant des années, j’ai pensé que mon père, fort de son expérience et de son intuition, avait discerné en moi les qualités d’un génie militaire. Mais on m’a dit par la suite qu’il en avait seulement conclu que je n’étais pas assez intelligent pour devenir avocat. » Il n’est pourtant pas un cancre et excelle en histoire, en géographie et en français, une langue appréciée en grand francophile.

Churchill, ses discours et ses gaffes en français et les limites de la francophilie : le drame Mers el-Kébir

Ses bulletins scolaires ne lui permettent pas d’entrer au prestigieux Eton College, une première dans la famille qui achève de dépiter son père. Il intègre Harrow en 1888, une école moins cotée mais qui reste quand même l’une des meilleures au monde, preuve s’il en faut que la naissance, le pouvoir et l’argent l’emportent souvent sur le simple mérite. Même à Harrow, il reste désinvolte et sélectif dans les matières où il brille. Alors que les meilleurs élèves apprennent le grec et le latin, il doit subir des cours de rattrapage en anglais. Ironiquement, c’est là que le jeune Winston tombe amoureux des mots.

Une courte mais intense carrière militaire

S’il remporte plusieurs titres d’escrime (il sera aussi plus tard en Inde un très bon joueur de polo, ce qui contraste avec son célèbre « no sport », censé expliquer sa longévité), il échoue deux fois à son examen d’entrée à l’Académie militaire de Sandhurst, qu’il finit par réussir en 1893, terminant 92e sur 102.

C’est insuffisant pour entrer dans la prestigieuse infanterie royale et il devra choisir la cavalerie, au grand dam de son père. Deux ans plus tard, il aura fait bien des progrès en sortant 8e sur 150 de sa promotion. Malheureusement, son père décède quatre semaines plus tôt. Comme pour tant d’autres grandes figures, le paternel n’aura jamais l’occasion d’être fier de son fils et ne saura jamais quel génie et quelle empreinte celui-ci laissera dans l’histoire. Chienne de vie.

Ces difficultés, Churchill en fait une force. L’occasion de mettre en avant ma citation préférée : « le succès, c’est d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme. »

Promu lieutenant, Churchill développe dans un premier temps un désir de gloire militaire. Dès 1896, il demande à être envoyé à Cuba, où des rebelles cherchent à s’émanciper de la tutelle espagnole. Il y connait son baptême du feu avec les troupes loyalistes, envoie un premier compte-rendu au Daily Graphic, prémices de sa carrière parallèle de journaliste correspondant de guerre, et surtout rapporte dans sa valise une bonne grosse provision de havanes.

Femme, cigare, alcool : Churchill, un homme fidèle en amour et en excès

La même année, il part pour l’Inde, joyau de l’empire colonial britannique. Il s’y fait agréablement mais royalement chier. Isolé dans le confort des officiers coloniaux, il lit les grands auteurs historiques (Gibbons), philosophiques et politiques (Platon, Aristote, Pascal, Saint-Simon, Schopenhauer) et économiques (Smith, Malthus), rattrapant le retard pris pendant ses études. Il en vient à se rêver suivre les pas de son père, plusieurs fois ministre. Dès qu’il sort dans la rue, il a l’occasion de se forger une profonde conviction impérialiste : il critique les Indiens et leur odeur de curry, est malade de ne boire que du thé à cause de l’eau non-potable et est atterré par la misère et la corruption qui y règnent. De toute évidence, il est nécessaire de prendre en main ce peuple pour l’amener au niveau de civilisation des Britanniques.

Une trentaine d’années plus tard, c’est au sujet de l’Inde qu’il rompt avec les conservateurs (il retrouve son ancien camp en 1925 pour devenir ministre), quelques mois après avoir perdu les élections de mai 1929. Contrairement à la nouvelle opposition dont il fait partie, il est contre la libération de « M. Gandhi » – dans ses Mémoires, publiées au moment de la mort de celui qui est désormais une icône mondiale – « ce fakir (…) à demi-nu » – comme il le désigne en 1929… – chef de file du parti nationaliste indien venu négocier à Londres le passage de la colonie sous le statut de dominion (état indépendant mais membre du Commonwealth). Cette rupture annonce une longue traversée du désert qui dure dix ans, jusqu’au début de la Seconde Guerre mondiale, et qui verra Churchill absent de l’exécutif.

Mais dans l’Inde de la fin du XIXe siècle, le jeune officier qu’est Winston Churchill n’a jamais croisé Gandhi et s’efforce de participer à la pacification du pays. En 1897, son régiment mène une offensive contre les pachtounes du Malakand, à la frontière entre les actuels Pakistan et Afghanistan. Il se bat dans la région pendant plus d’un mois et voit la mort de très près, expérience dont il tire son premier récit, Le Siège de Malakand, publié l’année suivante sous le nom The Story of the Malakand Field Force. Le livre, ainsi que les articles publiés en tant que correspondant de guerre, lui valent une reconnaissance critique. Pour Churchill, une chose est sûre : l’armée c’est bien mais un peu dangereux et il se lancera dans la politique à la première occasion.

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1895, à l’académie militaire / 1898, en Afrique du Sud

Il souhaite cependant effectuer une dernière pige au Soudan, où l’armée de Sa Majesté est tenue en échec par les rebelles musulmans. Après une interminable remontée du Nil, dont il se souviendra au moment de nommer un nouveau récit de ses aventures (La Guerre du fleuve), il débarque à Omdourmân et combat le 2 septembre 1898 à la bataille du même nom. Il participe selon la légende à la dernière charge de cavalerie notable de l’histoire de l’armée royale. La classe.

Après l’échec de sa première tentative pour être élu député, Churchill décide de reprendre du service en tant que correspondant de guerre et part pour l’Afrique du Sud, où le Royaume-Uni entre en guerre contre les « États boers », ces républiques créées par des colons hollandais. Mais il a une vision particulière du rôle de correspondant de guerre : déjà tenté de participer aux histoires qu’il raconte, il n’hésite pas à combattre ; est fait prisonnier ; s’évade ; sauve la vie d’un général… Un moment pressenti pour obtenir la Victoria Cross, plus haute distinction britannique, on en vient à se demander quand il a le temps de rédiger ses articles. Ces derniers, regroupés dans un recueil paru en 1900 sous le nom De Londres à Ladysmith, via Pretoria, ainsi que le récit de son évasion, lui assurent une notoriété utile pour lancer véritablement sa carrière politique.

Il dira alors : « la politique est tout aussi exaltante que la guerre… Et bien plus dangereuse : là où vous êtes sûr de ne mourir qu’une fois à la guerre, vous pouvez mourir plusieurs fois en politique. »

L’homme de lettre, le ministre et le chef de guerre

        • À l’aube du XXe siècle qu’il marquera d’une trace indélébile, Winston Churchill est auréolé du statut de jeune officier courageux et de reporter de guerre intrépide. Si sur le terrain, ses succès militaires sont sans équivoque, on verra qu’une fois au pouvoir, il aura moins de succès au niveau stratégique, son imagination fantasque se heurtant souvent aux réalités de la guerre.
        • Par ailleurs, Sir Winston s’affirme comme un grand écrivain. Il excelle dans les œuvres biographiques portant sur sa famille, son père et son ancêtre John Churchill, mais surtout sur sa propre vie, qu’il mêle aux grands événements de son temps. Il donne naissance à un genre très churchillien, qui caractérise Le Siège de Malakand, La Guerre du fleuve, The World Crisis, où il raconte la/sa Première Guerre mondiale, et bien sûr ses Mémoires. De « brillantes autobiographies de Winston déguisées en histoire de l’univers » dira un Premier ministre britannique.
        • C’est dans l’arène politique que Churchill affirme sans doute le plus son style, par ses discours marquants et ses réparties cinglantes. Plusieurs fois ministre, il connait les deux guerres les plus importantes de l’histoire de l’humanité, auxquelles il doit une grande part de sa légende. Car en temps de paix, les actions de Churchill laissent un souvenir mitigé.

En 1900, élu de justesse député, Winston Churchill a déjà de solides opinions politiques. Il adhère totalement au dogme du parti conservateur en matière d’impérialisme et de nationalisme britannique, insistant sur l’importance de la politique maritime du pays, mais, fait original, se rapproche des libéraux dans le domaine du social, considérant « l’amélioration de la condition ouvrière britannique comme le but principal d’un gouvernement moderne. » Adepte du libre-échange comme outil de la puissance commerciale du pays, il s’oppose de plus en plus à son propre camp et envisage de retourner sa veste pour se rapprocher du pouvoir, chose qu’il fera dès 1904.

Un second rôle sur la scène politique

Ministre du Commerce en 1908, puis de l’Intérieur en 1909, il œuvre pour la création d’un salaire minimum, d’une pension pour les chômeurs, d’un système de retraite et d’un système de sécurité sociale. Premier « flic » du pays, il n’hésite pas à se rendre sur le terrain lors d’affrontements et est confronté à l’émergence des suffragettes, ces militantes féministes qui réclament le droit de vote. Bien qu’il propose un référendum sur le sujet, puis qu’il œuvre pour que les femmes obtiennent de meilleurs salaires durant la Première Guerre, l’opinion publique garde de lui l’image d’un misogyne.

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Churchill assiste à une prise d’otage en tant que ministre de l’Intérieur. Il cherchera toute sa vie la proximité du danger.
Vous êtes ivre M.Churchill !

Il est ensuite nommé Premier Lord de l’Amirauté (ministre de la Marine) et prend la bonne décision de mobiliser la flotte avant le début de la Première Guerre mondiale, puis d’investir dans le développement des premiers chars d’assaut, mais doit démissionner après plusieurs bourdes. Sa présence dans le port d’Anvers en Belgique, alors que la ville est assiégée, rappelle à ses compatriotes le comportement de Churchill lorsqu’il était ministre de l’Intérieur. En voulant être aux premières loges, il attire sur lui l’attention et est désigné responsable de tous les échecs. La résistance d’Anvers sera cependant jugée bénéfique par les historiens.

Mais c’est une autre opération, dont il passera longtemps pour le principal promoteur, qui va le mettre en difficulté : les Dardanelles, l’un des deux détroits qui séparent, avec le Bosphore (Istanbul), la Méditerranée et la Mer Noire, sont la cible de l’une des premières opérations amphibies de l’histoire. En 1915, on décide d’attaquer la Turquie, alliée de l’Allemagne à Gallipoli. Ce qui doit être une opération éclair dure finalement plus de six mois, pendant lesquels 200 000 hommes perdent la vie, sans même réussir à passer la plage ! Churchill doit quitter le gouvernement, bien qu’il soit dédouané par une enquête à la fin de la guerre.

Il servira un temps sur le front français en tant que colonel, trouvant sous les bombes « un bonheur et un contentement » qu’il n’avait plus connu depuis longtemps, avant de redevenir ministre de l’Armement en 1917. Critiqué alors, réhabilité ensuite, il a globalement une action positive pendant le conflit.

Lors du Traité de Versailles, il est l’un des rares à prôner l’indulgence envers l’Allemagne tandis que se profile la menace communiste. Mais ses actions futures en tant que ministre sont critiquables. Secrétaire d’État aux Colonies libéral en 1922 et Chancelier de l’Échiquier conservateur de 1925 à 1929, il s’attire l’inimitié des deux camps. Au sujet de son énième changement d’alliance, il dit avec cynisme : «  n’importe qui peut être un lâcheur, mais il faut une certaine ingéniosité pour l’être à nouveau. »

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Personne n’a l’air convaincu par cette veste

Aux Colonies, il valide notamment le partage des anciennes possessions ottomanes avec la France, autorisant la création du royaume d’Irak et le recours d’armes chimiques contre la minorité rebelle kurde… Aux Finances, il laisse un bilan mauvais, contrairement à ce qu’il écrit dans ses mémoires : «  d’un point de vue économique et financier, la masse de la population était manifestement plus prospère (…) à la fin de notre mandat qu’à son début. Voilà un résultat modeste, mais incontestable. » En réalité, si Churchill emploie son style à la défense des valeurs qui lui sont chères, comme celle de l’entrepreneuriat (« Certains considèrent le chef d’entreprise comme un loup qu’on devrait abattre, d’autres pensent que c’est une vache que l’on peut traire sans arrêt. Peu voient en lui le cheval qui tire le char ») il restera associé à la malheureuse réévaluation de la livre sterling, permettant à la monnaie britannique de « regarder à nouveau le dollar dans les yeux » selon l’expression alors en vogue, mais qui précipite une baisse des exportations, une sérieuse déflation et des grèves massives de protestation contre le chômage en 1926. Après 1929, Churchill s’enfonce dans la marginalité, décrié par ses anciens collègues tant conservateurs que libéraux, ainsi que par les travaillistes / socialistes, qu’il assimile souvent aux communistes qu’il déteste comme la plupart des totalitarismes.

Churchill et ses rapports ambigus avec les régimes dictatoriaux

Il s’étrangle quand l’Angleterre et l’Allemagne signent le traité naval permettant au IIIe Reich de développer à nouveau une marine, contrairement à ce que prévoit le Traité de Versailles. La marine, outil séculaire de la puissance britannique, c’est le bébé de Churchill et il ne tolère pas qu’elle puisse être concurrencée, surtout par un régime en plein réarmement, qui profite de la peur d’un nouveau conflit mondial pour agir en toute liberté. En contrepartie, il pèse de tout son poids politique pour que l’Angleterre investisse dans son armée de l’air, à la hauteur de ce que fait l’Allemagne. Le glorieux épisode de la « bataille d’Angleterre » lui donne raison.

Hitler, un marchepied vers la gloire

Churchill ne s’engage à fond dans la lutte contre l’Allemagne nazie que quand il est certain de l’imminence de la guerre. Ce sera chose faite en 1938, après la signature des accords de Munich, censés voir « la paix sauvée pour une génération » selon le Premier ministre Chamberlain. En réalité, ces accords, qui marquent l’abandon de la Tchécoslovaquie à Hitler, renforcent les certitudes du dictateur sur le fait que l’Angleterre et la France ne bougeront pas en cas de guerre. En six ans, il a pu remilitariser le pays, retrouver et même étendre ses frontières sans que personne ne bouge. Churchill s’exclame alors devant les autres députés : « Vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur, et vous aurez la guerre. Ce moment restera à jamais gravé dans vos cœurs. »

L’un des passages les plus célèbres de ses Mémoires concerne également cet épisode : « c’est ainsi que la malveillance des méchants se renforça de la faiblesse des vertueux. »

Considéré comme un oiseau de mauvais augure mais lucide quant à la tragédie qui se prépare, Churchill veut apparaître comme le plus féroce adversaire d’Hitler, conscient que l’opinion publique ne tardera pas à se retourner en sa faveur. Pari gagnant : il redevient ministre de la Marine deux ans plus tard (« Winston is back « ), puis Premier ministre lorsque Hitler est en passe de s’imposer en France et qu’on cherche un homme relativement « neuf » (Churchill n’est pas responsable de la politique des dix dernières années) pour mener un gouvernement d’union nationale.

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En 1945, Churchill écrit « un cadeau pour Hitler » sur un obus prêt à être tiré sur l’Allemagne.

Pendant cinq ans, il sera un leader admirable, contraint aux manœuvres les plus subtiles pour imposer ses vues aux Américains et aux Russes. Sans revenir sur le conflit (on en serait quitte pour 30 000 autres signes !), il est important de rappeler ce que nous devons à Churchill : l’honneur de la France préservé, alors que Roosevelt et Staline nous considéraient comme une nation de vaincus et de collabos.

Il joue sur la menace soviétique pour convaincre les Américains de s’appuyer en priorité sur le Royaume-Uni, au sein d’un grand ensemble anglo-saxon, et de ne pas laisser une Europe en ruine à la merci de l’ours communiste. Quand un énième plan de gouvernement mondial d’après-guerre prévoit la suprématie de quatre pays (États-Unis, Russie, Royaume-Uni et Chine), Churchill s’exprime en faveur de « la restauration de la splendeur d’une Europe mère des nations modernes et de la civilisation », avant d’appeler la création des « États-Unis d’Europe. » Grâce à lui, autant si ce n’est plus qu’à De Gaulle, la France obtient un siège permanent au futur conseil de sécurité de l’ONU.

Et si Churchill est parfois écarté des discussions, c’est en partie du fait de son caractère : souvent emporté par ses émotions, son orgueil et son imagination, Sir Winston n’aura de cesse que de proposer des « initiatives stratégiques hasardeuses, précipitées et potentiellement catastrophiques » selon les mots de François Kersaudy, son biographe. Le souvenir de Gallipoli et des Dardanelles, noms souvent scandés dans ses meetings d’entre-deux guerres, reste vivace, et les plans de Churchill pour un débarquement en Norvège en 1943 ou dans les Balkans en 1944 prouvent au commandement allié que le Premier ministre est inapte en matière de stratégie militaire globale. Ces projets avortés caractérisent le bouillonnant personnage, toujours en quête de gloire.

Ses Mémoires de guerre lui rapportent 40 millions de dollars

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Avec Roosevelt et Staline à Yalta, ils décident du sort d’Hitler, de la répartition de l’Europe et du nouvel ordre mondial à mettre en place.

Si le deuxième conflit mondial n’avait pas eu lieu, l’homme politique Churchill se serait sans doute totalement effacé derrière l’écrivain Churchill. Qui sait ce qu’il aurait trouvé à écrire ? Heureusement, la Seconde Guerre mondiale lui offre le matériel pour produire sa plus grande œuvre, lui qui avait un accès privilégié aux informations et aux grands acteurs du conflit. Il n’oubliera jamais cette facette de sa personnalité, même pendant la guerre : Chamberlain, Premier ministre en 1940 quand Churchill est en charge de la Marine, se plaint des lettres « interminables » que lui envoie son ministre alors qu’ils se voient tous les jours, avant de confier à sa sœur : « on pourrait estimer que ce n’est pas indispensable, mais bien entendu, je me rends compte que ces lettres sont destinées à être un jour citées dans le livre qu’il écrira après la guerre. » De même les fonctionnaires travaillant sous ses ordres avaient l’habitude de s’écrier « encore une pour les Mémoires ! » en recevant ses notes !

Churchill nous fait vivre le conflit de l’intérieur mieux que personne, dans un style unique, se laissant parfois aller à un semblant d’émotion, mais toujours avec le même flegme et le même humour typique. Voici par exemple ce qu’il pense au moment où il apprend la tragédie de Pearl Harbor, alors qu’il attend l’entrée en guerre des Américains depuis plus d’un an et demi et qu’il vient de déclarer la guerre au Japon : « Après Dunkerque ; après la chute de la France ; après l’horrible épisode de Mers el-Kébir ; après la menace d’invasion, lorsque, la marine et l’aviation mises à part, nous étions un peuple pratiquement désarmé ; après la lutte féroce contre les sous-marins, la première bataille de l’Atlantique, gagnée d’extrême justesse ; après dix-sept mois d’un combat solitaire (…) nous avions gagné la guerre. L’Angleterre survivrait, la Grande-Bretagne survivrait, le Commonwealth des nations et l’empire survivraient. (…) Une fois de plus dans la longue histoire de notre île, quoique meurtris et mutilés, nous allions ressurgir, saufs et victorieux ; nous ne serions pas anéantis ; notre histoire ne s’achèverait pas ; nous n’aurions peut-être même pas à mourir en tant qu’individus. » Un second degré churchillien, renforcé à la page suivante, lorsqu’il reproduit le communiqué envoyé à l’Ambassadeur du Japon, lequel comporte les formules de politesse courantes, et dit : « d’aucuns se sont offusqués de ce style cérémonieux ; mais après tout, quand vous devez tuer quelqu’un, rien ne coûte d’être poli. »

L’écrivain Churchill, c’est un total de 37 ouvrages, 400 articles et 3000 discours. Il est considéré comme l’un des auteurs ayant gagné le plus d’argent, tandis que ses seules Mémoires lui rapportent au minimum 40 millions de dollars. Les mots de Churchill résonneront pendant longtemps en Europe, son discours de Fulton en 1946 restant dans les annales par sa dénonciation du « rideau de fer » qui s’est abaissé sur l’Europe. Revenu aux affaires de 1951 à 1955, Churchill, sur le plan international, s’emploie à maintenir l’unité de l’empire, lui qui regrette l’indépendance de l’Inde, accordée par le gouvernement précédent et à laquelle il s’est toujours opposé. Il prend l’habitude de dire : « j’aurais pu défendre l’empire britannique contre n’importe qui, sauf les Britanniques. »

Il a aussi à cœur de chercher à apaiser les tensions Est-Ouest, alors que son pays est directement menacé par la proximité du bloc soviétique. Jusqu’en 1953 et la mort du dictateur, il pense pouvoir user de sa relation personnelle avec Staline pour l’amener à coopérer. Le 11 mai 1953, il en appelle même à l’ouverture avec l’URSS, afin d’assurer « la paix à notre génération. » Ironiquement, Churchill emploie les mots qu’il avait critiqués au moment de la signature des accords de Munich avec Hitler. Tout comme les dirigeants anglais de l’époque ignoraient la nature d’Hitler, Churchill ne perce jamais vraiment celle de Staline, sa paranoïa et le fonctionnement du système soviétique. Ce sera sa dernière et l’une de ses rares erreurs de jugement.

Après une vie menée à un train infernal (son garde du corps, Walter H.Thompson, qui accompagne Churchill entre 1922 et 1945, estime dans ses mémoires avoir fait près de 320 000 kilomètres en sa compagnie…), Winston Churchill se remet difficilement d’une attaque en 1953, mais reste Premier ministre jusqu’en 1955 et député jusqu’en 1964, à l’âge de 90 ans. Il est le seul député à avoir remporté une élection sous le règne de la reine Victoria (1837-1901) et celui de son arrière-arrière-petite-fille Elisabeth II (depuis 1952) ! Churchill termine sa vie en voyageant et en peignant, comme il l’a toujours fait, même durant les heures les plus sombres de la guerre. Il meurt d’une nouvelle attaque, exactement 70 ans après le décès de son père.

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Churchill et sa femme Clementine. Une des dernières photos, toujours avec son traditionnel nœud papillon, symbole plus discret et élégant du « grand homme ».

L’histoire de Winston Churchill, c’est l’histoire de notre monde qui s’emballe, écartelé entre une dernière charge de cavalerie menée aux confins de l’Afrique et l’explosion de la première bombe atomique, le lent déclin de l’empire britannique victorien et l’éclosion d’un monde bipolaire, séparé par son fameux « rideau de fer ». C’est aussi, à l’instar de De Gaulle, l’un des derniers géants de la politique, à la fois homme de lettres et d’action. Et tout comme le général en France, il bénéficie toujours d’une sorte d’aura dorée, qui éblouit tellement qu’elle empêche de vraiment s’approcher pour regarder en détail les aspérités des personnages, leurs défauts et leurs erreurs.

« Pour un homme qui a occupé la première place sur la scène du monde avant que sa figure s’estompe dans la pénombre de la retraite, la mort est une résurrection », disait Paul Reynaut, ancien dirigeant français, au moment de la disparition de Churchill dans les colonnes du Figaro. Cinquante ans plus tard, le mythe est toujours vivant.

Sources :

Mémoires de guerre, 1919 – 1941 et 1941 – 1945, par Winston S.Churchill, traduction de François Kersaudy pour la collection Texto (2013).

Le monde selon Churchill. Sentences, confessions, prophéties, reparties, par François Kersaudy, même collection (2014).

Tu seras un raté mon fils! Churchill et son pèrepar Frédéric Ferney chez Albin Michel (2014).

La vérité sur Churchill, dossier de La Nouvelle Revue d’Histoire, numéro 76 (janvier-février 2015).

Photos : Times (l’image de une n’est pas un selfie (désolé) mais une publicité retouchant une photo originale de Churchill), Getty images, Wikimédia, Imperial War Museum, US Library Congress.

Une nouvelle fois, un noir a été abattu cette semaine par un policier blanc aux États-Unis. Alors que ces événements sont de plus en plus médiatisés de ce côté de l’Atlantique, il est nécessaire selon moi de rappeler une vérité tragique : c’est courant aux US, mais pas pour les raisons qui nous viennent trop facilement à l’esprit.

[MàJ le 08/07/16 : Malheureusement, cet article peut également concerner les derniers cas de bavures policières qui ont coûté la vie à Alton Sterling, tué à bout portant par un policier blanc ce mardi 5 juillet en Louisiane, Philando Castile, abattu le lendemain dans le Minnesota lors d’un contrôle routier en présence de sa famille.

S’il est encore trop tôt pour savoir le déroulement exact de ces drames, il ressort que ces deux hommes étaient armés lors de leur interpellation mais ne présentaient pas la moindre menace pour les policiers.

Des policiers victimes à leur tour ce jeudi 7 juillet : lors d’une manifestation contre les violences policières à Dallas, des snipers ouvrent le feu contre les forces de l’ordre, tuant 5 policiers et en blessant 6 autres.]

Le 23 décembre, à Berkeley, à quelques kilomètres de Ferguson, Antonio Martin, 18 ans, a été tué par un policier en état de légitime défense.

Depuis le 9 août et la mort à Ferguson de Michael Brown, abattu de six balles par l’agent Darren Wilson alors qu’il n’était pas armé, cette petite ville de l’État du Missouri – où les noirs sont majoritaires, sauf dans la police – est devenue le symbole et le centre d’un large mouvement qui a réveillé « le débat national sur la race et la justice« , selon les mots du Time. Le magazine a même sélectionné les « activistes » de Ferguson dans la liste du fameux Person of the Year 2014, juste derrière le personnel médical impliqué dans la lutte contre Ebola.

Le mouvement s’est renforcé lorsque Tamir Rice, un enfant de 12 ans qui a eu la malheureuse idée de s’amuser dans un parc avec un faux pistolet, a été tué à Cleveland fin novembre ; lorsque au même moment, Darren Wilson puis Daniel Pantaleo – flic new-yorkais qui étranglait Eric Garner, vendeur illégal de cigarettes, lors de l’arrestation mortelle de ce dernier en juillet – sont acquittés ; ou encore lorsque plusieurs dizaines de milliers de personnes ont manifesté dans les rues de New-York mi-décembre, scandant « Don’t shoot » et « I can’t breath » (« Ne tirez pas » et « Je ne peux pas respirer »), les dernières paroles de Michael Brown et Eric Garner.

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Image tirée de la vidéo de l’arrestation d’Eric Garner

Jusqu’ici, j’ai toujours hésité à revenir sur ces événements, d’une part car chacun a ses spécificités et qu’il est difficile d’expliquer ce qui s’est réellement passé, d’autre part car je ne voulais pas m’avancer dans des interprétations douteuses sur la société américaine et ses forces de police. Les faits qui ont conduit à la mort de Michael Brown sont encore très troubles. Ceux, filmés, des cas Eric Garner, Tamir Rice et Antonio Martin ne laissent quant à eux pas de place au doute : dans les deux premiers, l’erreur policière est flagrante. Dans le dernier cas, on voit clairement le jeune homme pointer ce qui se révélera être une arme vers le policier.

Pourtant, peut-être du fait de la distance avec Ferguson, de nombreuses personnes sont allées sur le lieu du drame, accusant à nouveau la police de racisme. Deux jours plus tard, des actions étaient encore organisées à proximité de la station-service où est mort Antonio Martin, bien que les vidéos de surveillance aient été diffusées la veille. La haine de la police est criante et elle peut prendre un aspect aussi exceptionnel que spectaculaire, à l’image des deux officiers abattus dans leur voiture de patrouille à New-York le 22 décembre.

[MàJ le 08/07/16 : Un schéma qu’on retrouve aujourd’hui avec l’attaque de Dallas, alors que les vidéos de bavures, filmées parfois par des proches (comme c’est le cas pour Philando Castile, dont la fin est immortalisée par sa petite amie, Diamond Reynolds) et largement diffusées sur les réseaux sociaux, attisent la rancœur envers la police et donnent l’impression que ces cas sont de plus en plus courants.]

Blancs, noirs et hispaniques égaux face au risque d’homicide légitime

Ce sont ces deux événements qui m’ont décidé à évoquer le sujet. Celui-ci est délicat, tant les ramifications politiques, sociales et culturelles (la place des noirs aux États-Unis, un demi-siècle après la fin de la ségrégation), voire économiques (lien entre pauvreté et criminalité, suréquipement des policiers motivé par l’industrie de l’armement…) sont diverses. Aussi, je ne cherche pas à expliquer ces événements, mais vais simplement essayer de vous présenter quelques éléments qui selon moi, devraient être plus souvent évoqués lorsque l’on traite ces cas, d’autant que leur absence laisse la place aux raccourcis douteux. Un bon exemple est cet article du Monde titré « Racisme et militarisation, la face cachée de la police américaine » qui, vous pouvez le constater, utilise les mêmes arguments que moi, sans en tirer les mêmes conclusions.

L’élément auquel il faut accorder le plus d’importance selon moi est la fréquence des arrestations qui se soldent par la mort du suspect aux États-Unis. Selon un rapport du Département de la Justice US, les forces de police ont procédé à 97,9 millions d’arrestations sur la période 2003-2009. 4813 fois, l’arrestation s’est soldée par la mort du suspect. 2931 de ces morts sont directement imputables à la police qui a fait usage de la force létale, soit 61,5% des cas, le reste étant lié aux accidents ou encore aux suicides. Il y a donc en moyenne chaque jour plus d’une personne tuée par la police au cours d’une arrestation !

[MàJ le 08/07/16 : En 2016, 566 Américains, blancs, noirs ou hispaniques ont été tués par la police. Les pourcentages évoqués ci-dessous sont cependant ceux mis en avant ces derniers jours et ces dernières heures par les médias français. Une étude publiée dans le journal britannique The Guardian, datée de janvier 2016, est également citée : on apprend qu’un jeune noir américain a cinq fois plus de chances d’être tué par la police qu’un autre américain du même âge.]

Comme le met en avant l’article du Monde, le suspect décédé est blanc dans 42,1% des cas, noir dans 31,8% des cas et hispanique dans 19,7% des cas. Bien que cette série concerne tous les types de décès, celle liée aux homicides est relativement similaire. Ces chiffres sont comparés à l’importance de ces différentes communautés dans la population totale du pays, qui est respectivement de 63,7%, 12,2% et 16,3%… Les minorités semblent en effet victimes d’un grave déséquilibre.

Les noirs plus souvent visés que les autres communautés ?
Les noirs plus souvent visés que les autres communautés ?

Mais lorsqu’on s’intéresse aux causes du décès au sein d’un même groupe, les chiffres donnent une vision plus nuancée : 60,9% des blancs tués le sont directement par la police, contre 61,3% des noirs et 63,1% des hispaniques. Difficile de parler de racisme dans ces conditions.

Blanc, noirs et hispaniques égaux face au risque d'homicide
En réalité, blancs, noirs et hispaniques sont relativement égaux face au risque d’homicide

Ce document nous apprend également que 1,6% de personnes tuées directement par la police se sont révélées être totalement innocentes. Cela fait environ 47 « bavures » entre 2003 et 2009, soit une petite dizaine par an.

78% des suspects tués par des policiers noirs sont également noirs

Une autre statistique à avoir en tête, c’est le taux de policiers blancs dans les effectifs totaux des forces de l’ordre US. Je n’ai pas trouvé un chiffre représentatif satisfaisant pour l’ensemble du pays, au mieux des estimations : sur les 750 000 policiers américains, deux-tiers sont blancs. Un chiffre plutôt en rapport avec la part de cette communauté dans la population américaine. Par contre, on constate de fortes disparités locales. Selon l’article du Monde : « 72% des villes où la population noire représente au moins 5% de la population totale connaissent une sous-représentation des Noirs dans les effectifs de la police par rapport aux Blancs. »

La mort d’un suspect noir lors de son arrestation par un policier blanc n’est donc pas une chose rare et parmi les centaines de cas recensés chaque année, il y a malheureusement la place pour quelques bavures. Mais les blancs et les hispaniques sont aussi concernés. Et la police n’est pas composée que de blancs… Le site indépendant ProPublica a récemment décrypté les rapports du FBI pour la période 2010-2012. Il révèle que les policiers noirs sont impliqués dans environ 10% des « homicides légitimes », selon le terme employé lorsqu’un officier fait usage de la force létale. 78% des suspects victimes sont des noirs.

Les événements du type Ferguson mettent en avant plusieurs problématiques, comme la surreprésentation des noirs en matière d’arrestation par rapport à la place qu’ils occupent dans la société américaine ou la surreprésentation des blancs dans les forces de l’ordre au sein de certaines municipalités pourtant à dominance afro-américaine. Ce n’est cependant pas ça qui provoque un événement type Ferguson. Ça permet juste de comprendre pourquoi, statistiquement, les conditions sont réunies pour que, régulièrement, un noir soit tué par un policier blanc.

Difficile donc, dans ce cas précis, de parler de racisme. Je ne dis pas que la société US ne conserve pas des traces de son honteux passé ségrégationniste. Je dis que tout ne se résume pas à une histoire de couleur de peau, si vous voulez mon avis. J’insiste là-dessus : ce que je vais écrire maintenant représente mes conclusions personnelles, qui ne se basent sur aucune étude approfondie. C’est les fêtes et je n’ai pas la tête à passer des jours sur le sujet. Aussi, je vais me contenter de vous donner quelques axes de réflexions.

[MàJ le 08/07/16 : Idem. Pas pour les fêtes bien sûr, même si je pourrais évoquer l’été et l’Euro. Mais sans encore avoir trouvé une étude sérieuse, cette mise à jour est justifiée car, il me semble, très peu de médias évoquent ces pistes en couvrant les derniers événements, à l’exception notable de France Inter]

Des bavures fréquentes mais des réalités différentes

Premièrement, je pense qu’il faut faire attention aux amalgames. Chaque affaire est une situation unique et non une pièce qui s’intègre dans une trame générale. À moins de s’y intéresser en détail, il est facile de ne retenir qu’un schéma simpliste : un noir tué par un policier blanc. Puis un deuxième, puis un troisième… Les médias sont dans une séquence post-Ferguson et le risque de voir un événement évidemment trop fréquent être traité sous l’angle « encore un noir tué par un policier blanc« , qui sous-entend que les situations sont similaires, est élevé.

Une manifestation à Ferguson
Une manifestation à Ferguson

Bien-sûr, certains exemples récents sont marquants par la disproportion entre la menace d’un individu et la réponse des représentants de la loi. Je pense à Tamir Rice, dont le caractère factice de l’arme avec laquelle il jouait avait été signalé à la police. Entre le moment où la voiture apparaît à l’écran et le moment où Tamir Rice est abattu, il se passe seulement quelques secondes. Difficile d’imaginer que le policier ait laissé le temps au garçon de se rendre, alors que ce dernier n’a pas instinctivement lâché son jouet. Je pense aussi aux affaires où plusieurs policiers arrivent à vider leur chargeur sur une unique personne, comme ce fut le cas pour Amadou Diallo en 1999, touché par 19 des 41 balles (WTF??) tirées contre lui par quatre policiers, alors qu’il avait mis sa main à la poche pour chercher ses papiers. Les exemples sont trop nombreux pour en faire une liste exhaustive…

Mais certaines situations sont bien différentes : contrairement à ce qu’on pourrait penser, c’est le cas de Michael Brown à Ferguson. Le policier Darren Wilson n’a pas été poursuivi car les preuves ADN semblaient accréditer sa version : il y aurait bien eu bagarre entre les deux individus, Brown cherchant à s’emparer de l’arme de Wilson. On ne saura jamais vraiment la vérité, mais ces informations apportent un nouvel éclairage. On peut bien sûr dire que la police a falsifié les preuves… Après, si tout doit être expliqué par la théorie du complot, plutôt arrêter ma quête d’une carte de presse et partir cultiver la châtaigne dans l’Aveyron. Bref, revenons à notre sujet : il ne faut pas déconner avec les forces de l’ordre outre-Atlantique. Reste deux questions : pourquoi ne faut-il pas déconner avec les forces de l’ordre et pourquoi les noirs et les hispaniques sont plus touchés par ces débordements ?

Les minorités victimes de la pauvreté et des récentes politiques anti-criminalité

Je pense que si les noirs et les hispaniques sont les plus visés par la police et les plus représentés dans le milieu carcéral, c’est qu’ils sont les criminels les plus susceptibles d’être appréhendés par cette dernière. Attention, je n’affirme pas qu’on est un criminel en puissance dès qu’on est black ou latino. Par contre, on peut imaginer que la criminalité la plus « dense » est concentrée dans les quartiers les plus défavorisés, où les trafics, les vols et les agressions sont plus visibles. Or, qui est contraint d’habiter ces quartiers dans la majorité des cas selon vous ?

Pour caution, je vais citer cet extrait d’un article du sociologue Nicolas Duvoux, publié sur le site du Monde cet été : « les populations vivant dans les quartiers où la pauvreté est concentrée sont ainsi surexposées, de manière absolument disproportionnée, à l’incarcération. Selon les calculs du sociologue de l’université Harvard Bruce Western, pour les hommes noirs sans diplôme, la probabilité d’être incarcéré au cours de leur existence a été évaluée à 60 %. […] Le chômage et le sous-emploi frappent, de manière endémique, les centres urbains où sont concentrés les pauvres noirs (et latinos) depuis plusieurs décennies. Ils ont fortement contribué à l’augmentation de la criminalité et de l’incarcération, mais cette dernière contribue, en retour, à empêcher toute stabilisation économique, sans même parler de progrès économique et social pour ces populations. »

En étant incarcérées, ces personnes ne peuvent pas travailler et donc gagner de l’argent. Elles n’ont pas un CV très reluisant et laissent souvent une famille dans une situation économique précaire. Autant d’éléments qui expliquent un enlisement dans la pauvreté, dans les quartiers difficiles et donc, dans la criminalité.

Dans une étude de 2013, l’American Civil Liberties Union révélait que les noirs étaient arrêtés 3,73 fois plus pour possession de marijuana que les blancs, alors que la consommation est sensiblement la même dans les deux communautés. Plus que par une logique purement « raciale », ces chiffres pourraient s’expliquer par le fait que les ventes dans la communauté noire se font dans la rue, permettant des arrestations plus faciles. Le cas de la marijuana n’est pas anodin : si ce délit semble mineur, c’est l’un des motifs d’arrestation les plus courants et donc, même si le risque est infime, l’un de ceux qui sont les plus susceptibles d’entraîner la mort du suspect.

Eric Garner, victime de la doctrine de la vitre brisée ?

Cela m’amène à ma deuxième piste. En se concentrant sur les quartiers où il y a le plus de crimes, le plus de pauvres et donc de minorités, la police entretient le cliché minorité = criminalité. Dans la mort d’Eric Garner, il y a fort à parier que la politique de tolérance zéro appliquée dans certains quartiers par la police new-yorkaise a sa part de responsabilité. Régulièrement, on y constate des excès de zèle pour des délits mineurs, ce qui explique d’autres bavures mais aussi le succès des manifestations récentes dénonçant les brutalités policières.

Cette politique s’appelle la doctrine de la vitre brisée. Le journaliste américain Jamelle Bouie en donne la définition dans un article de Slate (repris par la version française), consécutif à la mort d’Eric Garner : « une fenêtre brisée crée l’apparence du désordre, et cette apparence génère elle-même du désordre, puisque les voleurs tirent parti de cet environnement devenu propice. Les policiers ne doivent pas attendre que la situation dégénère pour intervenir: ils doivent «réparer les fenêtres» –se concentrer sur la petite délinquance pour tuer dans l’œuf les infractions plus graves. » Si la mise en place de cette politique en 1993 correspond à une baisse simultanée de la criminalité à New-York, la corrélation des deux n’a jamais été prouvée. Pire, cette politique entraîne des interactions beaucoup plus fréquentes entre les forces de l’ordre et les populations noires et hispaniques, pour des délits souvent mineurs, alors qu’on retrouve ces mêmes délits dans d’autres quartiers et au sein d’autres communautés.

D’où l’agacement d’Eric Garner, le vendeur de cigarettes à la sauvette, toutefois déjà connu de la police pour des faits similaires. À force, le risque de résistance est selon moi augmenté. Cette doctrine peut aussi, je pense, être une explication aux multiples plaintes pour « racisme » dont a fait l’objet Daniel Pantaleo, à l’origine de la mort de Garner, dans sa carrière new-yorkaise.

Quand ils se sentent menacés, les policiers tirent de peur d’être dépassés

Enfin, l’article de Bouie évoque un dernier élément à prendre en compte. Je ne suis pas très à l’aise avec lui, puisque cet argument semble fréquemment avancé par des auteurs engagés pour appuyer une explication « raciste », alors que j’essaye depuis le début de cet article de dépasser ce constat trop simpliste. Mais ce dernier point va me permettre d’ouvrir une troisième piste de réflexion susceptible d’expliquer l’intransigeance des forces de police, so, i don’t give a fuck. Selon Bouie donc, les noirs sont plus souvent visés car ils inspirent un sentiment de crainte. On les pense plus vieux et plus forts que ce qu’ils sont en réalité, d’où des réponses excessives. On notera que c’est l’un des arguments que Darren Wilson donnera plusieurs mois après la publication de cet article pour expliquer sa réaction face à Michael Brown et que le Monde utilise également cette explication.

"Don't challenge them"
« Don’t challenge them »

Si cette théorie semble orientée, elle m’a guidée vers une dernière piste, qui traite elle aussi de la représentation du danger. Si un homme (dans 95% des cas) est tué chaque jour par la police, il ne faut pas oublier que les policiers payent également un lourd tribut : en moyenne un mort en service tous les deux jours, et un tiers d’entre eux sont tués à l’aide d’une arme à feu. Du moins pour les années 2009, 2010 et 2011, le seul chiffre mentionné dans la presse pour 2014 étant de 27 policiers tués. Je pense que tous les policiers outre-Atlantique sont à cran, dans un pays où il y a quasiment autant d’armes en circulation que d’habitants. Les policiers, devant un suspect blanc ou noir dont l’arrestation s’avère difficile et qui fait le moindre geste brusque (mettre sa main dans la poche, ce qui est régulièrement évoqué pour expliquer une bavure), préfèrent tirer « en premier ». Depuis plusieurs années, les jeunes policiers s’entraînent à survivre dans ce qui est considéré comme un milieu hostile. Cela ne justifie en rien la mort d’une personne mais c’est un facteur à prendre en compte.

[MàJ le 08/07/16 : Pour conclure également cette mise à jour, je voudrais présenter deux autres éléments. Le premier compare l’évolution des homicides en Europe et aux US. On voit clairement le problème que représente la violence dans la société américaine, et on peut supposer de son incidence sur le comportement de la police.  Dans le syllogisme « les criminels sont armés, les noirs sont des criminels, donc les noirs sont armés », par lequel certains seraient tentés d’expliquer le raisonnement des policiers, je pense que la première proposition pèse plus que la seconde sur le doigt qui appuie sur la détente.

Avec certaines villes aussi violentes que les cités européennes médiévales, on imagine que la police se doit d’être bien équipée, voir trop équipée. Le Monde pointait du doigt les liens entre forces de l’ordre et industrie de l’armement. Voici le cas de Chase Sherman, un blanc, tué en plein crise d’hallucination alors que sa famille avait appelé la police pour le calmer. Une vidéo qui démontre l’utilisation sans limite de la violence par les forces de l’ordre (pas moins de 15 coups de Taser contre un homme prostré à l’arrière d’une voiture, dans les vapes, qui se débattait seulement pour éviter le prochain coup) et l’absence totale de procédure d’intervention.
Surarmement et absence de limite dans un environnement ultra-violent : un cocktail qui multiplie les risques pour les personnes interpellées aux US, qu’elles soient noires, hispaniques ou blanches comme c’est le cas de Chase Sherman.]

 

En conclusion :

Quand un suspect est tué par un policier au cours d’une arrestation, on constate que la couleur de peau, tant de la victime que du tueur, influe peu. Mais puisque les noirs et les hispaniques sont plus fréquemment contrôlés, ils sont aussi plus victimes de ces débordements, par rapport à la place qu’ils représentent dans la population totale. D’un autre côté, la majorité des policiers étant blancs, comme le reste de la population américaine, les policiers blancs sont donc plus souvent impliqués.

Si les noirs semblent être contrôlés sur la base de critères « racistes », comme assimiler menace et couleur de peau, il faut aussi avoir en tête que les policiers se basent sur des statistiques comme l’origine ethnique de l’auteur des crimes pour effectuer les contrôles. Or, étant donné que la police concentre son action sur des quartiers défavorisés où les crimes sont plus nombreux, et que les minorités ethniques y sont plus représentées, la probabilité que l’auteur d’un crime soit noir ou hispanique est plus élevée. C’est l’histoire du serpent qui se mord la queue.

On peut ainsi mettre en cause la « ghettoïsation » de certains quartiers, les conséquences néfastes des politiques de tolérance zéro ou la nervosité des forces de police par rapport au risque de se trouver face à une personne armée. Mais mettre simplement l’accent sur le racisme, sans chercher ce qui peut le provoquer, est un raccourci trop dangereux et parfois trop visible dans la presse. La mort des deux policiers new-yorkais et les six personnes arrêtées depuis pour des projets d’attentats similaires l’illustrent. Et ça ne devrait pas aider les policiers à se détendre…

L’objet de mon article n’est pas de justifier le comportement de la police ou de nier les nombreux problèmes dont souffrent les États-Unis, comme par exemple la clémence dont bénéficient certains policiers devant les tribunaux, même pour les bavures les plus flagrantes. On peut aussi évoquer le mode de calcul officiel du nombre d’homicides légitimes, qui sous-estime sans doute la réalité (bien que ça ne signifie pas que la proportion entre victimes blanches, noires ou hispaniques soit modifiée…). Et si j’avais envie de passer encore quelques heures sur cette thématique, je vous aurais parlé d’autres bavures ou relaxes lors d’un procès,  d’autres chiffres montrant la violence de la rue, qui fait aussi des victimes chez la police. Vous l’aurez compris, aborder ce sujet revient à aborder une multitude de problématiques, qui divisent largement la société américaine et, sans une étude complète de cet ensemble, ce qui est laborieux étant donné les positions partisanes, il est difficile de donner des explications sans se tromper. Retenez simplement que je cherche à montrer ici que le racisme est l’arbre qui cache la forêt.

Crédit photo : Flickr / CC (Sam VerhaertYouth RadioTom Carmony) , YouTube (Ramsey Orta)

C‘est un coup de pub inattendu dont profite aujourd’hui Kanavape, à l’occasion de la commercialisation en ligne de sa vapoteuse à « cannabinoïdes, 100 % légal ».

Cette précision est donnée par Antonin Cohen, fondateur de l’entreprise franco-tchèque, en réaction aux déclarations sur RTL de la ministre de la Santé Marisol Touraine, qui veut faire interdire ce « joint » électronique, car il inciterait « à la consommation de cannabis. »

Il n’en fallait pas plus pour attirer l’attention des médias et rouvrir un sujet brûlant pour le gouvernement, tout en donnant l’occasion à Kanavape de défendre son produit.

Marisol Touraine semble à côté de la plaque…

Il y a de quoi : Kanavape ne commercialise pas « une cigarette au shit« , selon la formule parfois employée aujourd’hui, mais au chanvre (Made in Marseille d’ailleurs). Ici, peu de THC (0,2%, contre en moyenne 15% pour le cannabis récréatif), la molécule associée aux effets psychotropes de la marijuana. « Notre produit ne doit pas être considéré comme une alternative au pétard. Il n’a aucun effet psychotrope ou psychotype« , précise Antonin Cohen : « on travaille sur d’autres molécules présentes dans le chanvre« .

La molécule en question est le cannabidiol (CBD), qui provoque l’effet analgésique et anti-stress associé à la consommation du cannabis. Des « bienfaits » mis en avant par la société, qui présente sa vapoteuse comme une alternative à la médecine traditionnelle. De quoi alarmer la ministre de la Santé, de peur peut-être d’entendre la question de l’usage du cannabis thérapeutique lui être posée.

C’est ce que fait pourtant le docteur William Lowenstein, président de SOS Addiction et donc curieux « soutien » de Kanavape sur l’antenne de France Info. Il n’hésite pas à parler d’un produit « sans danger« , qui bénéficie d’une part des avantages du vapotage, d’une autre, de ceux du CBD et ses « visées thérapeutiques« . Quant à la volonté d’interdire de Marisol Touraine, le Dr Lowenstein pense qu’avec ce genre de mesures, « on n’aurait pas eu d’anti-douleur au XXIe siècle« , à cause des effets de l’héroïne. Pour lui, les chiffres de « la consommation » prouvent « que l’interdiction ne sert à rien, on est dans la discussion politicienne et pas dans le combat sanitaire. Ça fait trois générations qui fument du cannabis. Il ne faut pas penser qu’interdire est la seule solution. »

Sébastien Béguerie, co-fondateur de Kanavape, dans une plantation de chanvre provençale / Kanavape
Sébastien Béguerie, co-fondateur de Kanavape, dans une plantation de chanvre provençale / Kanavape

D’un autre côté, les associations en faveur de la consommation du cannabis voient l’arrivée de cette vapoteuse avec suspicion : cité par LeMonde.fr, Pierre Chappard, président de PsychoActif, évoque un « coup commercial sur le dos des consommateurs. Rien qu’en s’appelant Kanavape, ils font croire que ça a l’effet du cannabis« . À 49 euros la e-cigarette et 24,90 euros la recharge de 0,5ml (200 bouffées environ), on peut penser que la méprise serait en effet profitable à Kanavape. Mais pas sûr qu’un tel prix incite les consommateurs réguliers de « chichon » à franchir le pas.

« ​On est parti du constat que les gens avaient un comportement à risque en consommant du cannabis la plupart du temps mélangé à du tabac et via une combustion classique. On s’est intéressé à la cigarette électronique pour offrir le même moyen aux consommateurs de cannabis, afin de réduire les situations à risque« , confiait ainsi le dirigeant de Kanavape dans un interview donnée à Vice ce weekend (que je vous recommande, si le projet vous intéresse). Mais Antonin Cohen, fondateur il y a plus de six ans de l’Union Fr​​ancop​hone pour les Cannabinoïdes en Médecine,  vise avant tout les malades obligés de se tourner vers le cannabis pour se soulager, avec tous les risques qui y sont associés.

Kanavape, un objectif thérapeutique un peu fumeux ?

Sans occulter sa volonté de faire du business (il faut bien être rentable), les intentions d’Antonin Cohen paraissent louables. Et alors que l’État français a autorisé la mise sur le marché l’an prochain d’un médicament à base de cannabinoïdes comme le Sativex pour les patients atteints de sclérose en plaques, la réaction de Marisol Touraine semble paradoxale, voire incohérente. D’autant que, on le voit, elle attire l’attention sur l’usage thérapeutique et rouvre la question sous-jacente de la légalisation (ou dépénalisation), tandis que son arbitraire met en exergue l’absence de débat en France sur le sujet, comme le regrettait Christiane Taubira, ministre de la Justice, il y a peu sur le plateau du Petit Journal.

Pourtant, cette réaction est tout à fait normale, replacée dans le cadre de la politique de santé publique française menée depuis plusieurs années.

Pas de légalisation sans remise en cause des mesures anti-tabac

À première vue, la décision de Marisol Touraine pourrait s’expliquer par la volonté de ne pas voir ces produits se développer en France. Être inflexible avec Kanavape, c’est couper l’herbe sous le pied aux éventuels entrepreneurs qui voudraient commercialiser un véritable « joint électronique », avec THC. Car si les e-cigarettes utilisent pour l’instant des doses liquides, il est déjà possible de vaporiser directement du cannabis, via des dispositifs souvent encombrants et onéreux.

Aux États-Unis, depuis la légalisation de l’usage récréatif dans les États du Colorado et de Washington, le secteur est en plein boom. On a déjà parlé des restaurants ou des cours qui se développent outre-Atlantique, mais les startups sont nombreuses et imaginatives : applications, sites de e-commerce et bien sûr, vaporisateurs. La société Herbalizer présente ainsi son produit comme un dispositif d’aromathérapie, utilisable avec toutes sortes d’herbes, de la menthe à la lavande… A priori, rien qui n’interdit une commercialisation en France.

L’autre raison de l’inflexibilité de Marisol Touraine, c’est de réaffirmer son intention de laisser clos le dossier de la légalisation du cannabis, qui revient régulièrement sur le devant de la scène parlementaire. Les arguments en sa faveur son pourtant nombreux, des revenus fiscaux aux emplois créés dans les banlieues et ailleurs, en passant par le soulagement des forces de l’ordre, la baisse des revenus des trafiquants, le meilleur contrôle de l’État, tant au niveau de la qualité de la production que de la prévention.

Cannabis : combien de Français concernés ?

L’un des principaux arguments avancés par les consommateurs français désireux de ne plus être traités en délinquants est la légalité du tabac et de l’alcool, dont les risques pour la santé sont pourtant avérés. Et c’est justement sur ce point qu’il y a blocage : comment légaliser le cannabis au même titre que le tabac, compte tenu des politiques de lutte contre le tabagisme mises en place par l’État ?

C’est ce qu’expliquait Marisol Touraine à Aymeric Caron sur le plateau d’On n’est pas couché en novembre dernier. La séquence (début à 19:20) dure un peu plus de cinq minutes, mais elle aborde à la fois la problématique du tabac et du cannabis et est assez drôle.

Tout est une question de cohérence donc, d’autant plus que, comme le signalait Antonin Cohen, le fondateur de Kanavape, les Français fument l’herbe avec le tabac, contrairement aux consommateurs américains et d’une façon plus marquée que nombre de nos voisins directs.

Par contre, la France n’en est pas à une incohérence près : outre ses atermoiements sur l’usage de cannabinoïdes en médecine, comment expliquer ses scrupules à autoriser la commercialisation d’un dispositif comme Kanavape, alors qu’elle autorise la vente par les buralistes de feuilles à rouler longues, de filtres en carton et même de feuilles de blunt ?

Crédit photo : Kanavape & Flickr (Park Ranger ; Claudio Lobos )

Cet article est publié à l’origine par Ijsberg Magazine, un nouveau média d’actualité internationale que je vous recommande chaudement pour sa pratique du long-format et sa vision innovante du journalisme. Et ça, même Google le dit

Google veut en finir avec le reCaptcha, ces suites de lettres et de chiffres qu’il fallait recopier pour prouver que nous n’étions pas un logiciel spammeur.

Selon le géant américain, cette pratique est dépassée et se faisait au détriment de l’ergonomie et de la navigation des utilisateurs. Dorénavant, il suffira de cocher une case indiquant « je ne suis pas un robot ». Afin de vérifier que cette information est exacte, Google utilisera des éléments comme vos cookies de navigation, le mouvement de votre souris pour cocher cette case ou vous demandera de sélectionner une image, comme dans l’exemple ci-dessous.

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Les chats, alliés de Google pour le contrôle d’Internet

Mais derrière ce que dit Google se cache une nouvelle façon de vous exploiter. Le « Captcha » a été inventé en 1997 comme un système anti-spam. Son nom vient de l’acronyme « completely automated public Turing test to tell computers and humans apart », basé sur les fameux tests de Turing qui permettent de distinguer un humain d’un ordinateur.

Un moyen d’améliorer les logiciels de reconnaissance de texte

Depuis, les inventeurs du concept ont développé le « reCaptcha » et ont vendu le tout à Google en 2009. Le reCaptcha permet d’analyser votre réponse et d’alimenter les capacités de reconnaissance de texte des ordinateurs. C’est un peu paradoxal, mais assez pratique pour une entreprise comme Google, qui cherche à numériser toute sorte de livre pour sa bibliothèque en ligne Google Books. Or, toutes les petites phrases utilisées dans les reCaptcha ressemblent à celles imprimées dans un livre, avec ses erreurs d’impressions et ses déformations liées au passage du temps.

Imaginez des millions de personnes décryptant quotidiennement et gratuitement ces petits morceaux de phrases et alimentant ainsi les logiciels de Google. Au moment du rachat de cette technologie par le moteur de recherche, Luis von Ahn, son créateur, parlait de 200 millions de reCaptcha résolus chaque jour. En comptant environ 10 secondes par reCaptcha, cela équivalait à employer sans interruption 23 000 personnes pendant 24 heures…

Dans une logique de crowdsourcing, certaines « entreprises » se sont même développées autour des reCaptcha, comme le rapportait à l’époque le New York Times. En Asie du sud-est, les pirates n’hésitaient pas à sous-traiter cette activité, pour environ un dollar les mille lignes déchiffrées.

Luis von Ahn et son oeuvre
Luis von Ahn et son oeuvre

Le reCaptcha, désormais inutile dans 99,8% des cas

Google Books n’est pas le seul projet du géant américain à profiter de cette main-d’œuvre gratuite. La reconnaissance des caractères est aussi utile aux Google Glass, qui, associées à Google Trad, pourront traduire par exemple des indications dans une langue étrangère.

Autre exemple : certains reCaptcha utilisent un numéro de rue. En le décryptant, vous alimentez les capacités de reconnaissance de Google Maps. Grâce à ses logiciels, Google, en un seul passage, est capable de lire le nom et le numéro des rues, ou encore les enseignes d’un magasin. C’est très utile lorsqu’il s’agit de proposer à un commerçant de faire de la publicité dans Google Maps, mais aussi lorsqu’une Google Car automatique devra lire les informations indiquées sur les panneaux de signalisation. Les possibilités sont nombreuses tellement les projets de l’Américain sont liés.

Pendant cinq ans, le concept de reCaptcha a été largement exploité par Google. Mais, comme l’indique l’entreprise, il est temps de changer. Et le confort des internautes n’est pas la seule explication : les spécialistes estiment que les robots sont aujourd’hui tellement perfectionnés qu’ils peuvent passer le test sans encombre dans plus de 99,8% des cas. Les internautes du monde entier, passés de 2 à 3 milliards entre 2010 et aujourd’hui, ont bien travaillé.

No-Captcha : Google s’attaque à la reconnaissance d’images

Si sa forme actuelle est dépassée, l’intérêt du reCaptcha, qui renforce l’intelligence des logiciels de Google via le crowdfunding, reste certain. Avec cette mise à jour appelée « No-Captcha », Google veut maintenant utiliser cette procédure pour reconnaitre des images et les associer avec ce qu’elles représentent. Cela permettra d’améliorer les résultats de recherche de Google Image, mais là encore les utilisations possibles sont nombreuses. Il suffira de demander à ses Google Glass quel est l’objet que l’on a sous les yeux pour s’en rendre compte.

On peut aussi associer le No-Captcha avec les recherches réalisées par Google au sein de son « laboratoire X ». Il y a plus de deux ans, l’entreprise américaine faisait la une des médias en développant un réseau neuronal, c’est-à-dire, pour simplifier, un ordinateur construit comme un cerveau humain. Ce dernier avait réussi à apprendre seul à reconnaître un chat. Le taux de réussite était alors de 15,8%, mais de l’aveu des responsables du projet, il suffit d’alimenter en données l’algorithme d’apprentissage de la machine pour que les résultats soient de plus en plus probants.

Dans la même idée, Google a réussi le mois dernier à faire travailler ensembles deux réseaux neuronaux. Leur objectif était d’identifier et de décrire le contenu d’une image. Un réseau identifie les objets présents à l’image, l’autre écrit une courte légende. Le système n’est pas parfait, des erreurs pouvant être provoquées par les ombres et les perspectives, mais l’aide des données collectées par le No-Captcha devrait être précieuse.

Ici, le but de Google est double : améliorer l’identification, et donc le référencement, des milliards d’éléments présents sur le Web, tout en rendant son moteur de recherche plus « humain » et plus à même de comprendre nos requêtes.