Vous vous intéressez à l’État islamique ? C’est bien. Ça en vaut la peine, surtout lorsque ses membres nous attaquent aussi atrocement que ce 13 novembre, et que de nombreuses décisions – d’abord la surveillance de votre activité en ligne, désormais l’état d’urgence– découlent directement des actes de cette organisation terroriste.

Accessoirement, vous pouvez aussi être choqués par les centaines de milliers de victimes de la guerre civile en Syrie. Merci l’ONU. Mais avec Daesh, oubliez tout ce qu’une décennie de lutte contre le terrorisme vous a appris sur ce type d’organisation.

Une organisation terroriste ?

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Ses méthodesSon idéologieSon implantation
L’État islamique, alias Daesh, est une organisation terroriste dans le sens où ses membres utilisent la terreur pour imposer leur idéologie : ils ont recours aux meurtres aveugles d’opposants ou aux exécutions scénarisées d’otages occidentaux, au viol, à l’esclavage… Les actions les plus retentissantes sont les attentats, quotidiens à Bagdad, exceptionnels en Occident.

On doit par exemple aux djihadistes :

  • La vague d’attentats qui a frappé la France, la Tunisie ou la Turquie cette année.
  • Les attaques en Égypte, dont le crash d’un avion russe, mais aussi au Liban, au Yémen et au Pakistan.
  • Les massacres à l’encontre des chiites et yézidis capturés ainsi que des tribus sunnites qui refusent la domination de Daesh.
  • Les opposants, otages, homosexuels, etc. assassinés au sein de la zone contrôlée par les djihadistes.
 Son idéologie est simple : mener le djihad armé contre les Occidentaux et les musulmans chiites et imposer la charia aux musulmans sunnites. Tout traduit chez eux une lecture rigoriste et totalement anachronique des textes de l’islam. Le djihad est implacable : les gens du livre (chrétiens, juifs) doivent payer ou se convertir. Les autres (chiites, yézidis) doivent se convertir – dans de rares cas – ou mourir. Proche du wahhabisme, vision salafiste qui prône un retour à « l’islam des ancêtres », cette idéologie justifie la refondation, contestée dans le monde musulman, du califat.

Quelles différences entre Musulmans Chiites et Sunnites?
Pour imposer cette idéologie, Daesh s’est développé là où l’instabilité politique est le terreau de l’extrémisme : Afghanistan, Somalie, Libye et bien sûr depuis l’intervention américaine et les printemps arabes, l’Irak et la Syrie. Deux régions aussi marquées par les tensions religieuses, les chiites étant au pouvoir. Persécutés, les sunnites sont d’autant plus réceptifs aux arguments de Daesh : l’ordre pour les sunnites, la mort pour les chiites.

En rouge les territoires de l'état islamique (au 4 mai 2015)
En rouge les territoires de l’état islamique (au 4 mai 2015)

Un État djihadiste ?

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Une armée, un territoireUne administration et des servicesDes moyens financiersUne géopolitique
Daesh contrôle près de 230 000 kilomètres carrés (autant que la Grande-Bretagne) soit la moitié de la Syrie et un tiers de l’Irak. La conquête d’un tel territoire – et la lutte contre deux armées nationales – nécessite de disposer d’une armée. Daesh comprend entre 30 000 et 50 000 djihadistes – 100 000 pour les estimations les plus hautes – bien entraînés, équipés et endoctrinés. Mais tous ne combattent pas : ils assurent l’ordre, l’approvisionnement, le respect de la charia, la propagande de l’organisation.

Militant Islamist fighters parade on military vehicles along the streets of northern Raqqa province June 30, 2014. Militant Islamist fighters held a parade in Syria's northern Raqqa province to celebrate their declaration of an Islamic "caliphate" after the group captured territory in neighbouring Iraq, a monitoring service said. The Islamic State, an al Qaeda offshoot previously known as Islamic State in Iraq and the Levant (ISIL), posted pictures online on Sunday of people waving black flags from cars and holding guns in the air, the SITE monitoring service said. REUTERS/Stringer (SYRIA - Tags: POLITICS CIVIL UNREST CONFLICT)  FOR BEST QUALITY IMAGE ALSO SEE: GF2EA99110K01 - RTR3WJAI
Les djihadistes de Daesh défilent lors de la proclamation du califat, fin juin 2014.
Il existe des services qui font de Daesh un « proto-État ». Au-delà des opérations militaires, il faut bien gérer l’approvisionnement et la vie quotidienne des troupes et des 5 à 10 millions de civils qui sont sous la coupe de l’organisation. Les djihadistes sont payés et reçoivent une maison et des femmes afin de préparer la prochaine génération de combattants. Les enfants vont à l’école et apprennent à se battre. Une véritable administration, sous la tutelle d’un gouvernement, assure la gestion des hôpitaux, des transports publics, des distributions de nourriture… Mais bien sûr, aucun autre État ne reconnaît l’État islamique en tant que tel.
Pour entretenir son « État », Daesh doit compter sur des ressources stables. En juin dernier, la prise de Mossoul, deuxième ville d’Irak, lui a assuré un butin de plusieurs centaines de millions de dollars. Les ressources en énergie fossile et en phosphate, l’agriculture, la vente d’œuvres d’art mais surtout l’argent extorqué aux habitants, aux commerces, aux transporteurs en transit et aux familles des captifs, sans oublier les dons, lui assurent 2,4 milliards d’euros de gains annuels.

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Daesh a de quoi financer sa stratégie géopolitique : abattre les frontières entre Syrie et Irak, créées par les Occidentaux après la Grande Guerre, pour établir un « Sunnistan / Jihadistan » ; poursuivre son extension dans le monde arabe, là où le terrain est propice ; menacer l’Occident, en divisant et endoctrinant ses ressortissants, en visant ses intérêts, en poussant les migrants dans ses bras. Tout est fait pour précipiter le retour des Occidentaux et provoquer une étincelle dans la poudrière moyen-orientale.

Une entreprise internationale ?

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Une marque qui s'exporteAtypique et contradictoire
En économie, Daesh pourrait être comparé à un conglomérat multinational : ses activités sont variées, des hydrocarbures au commerce d’art. Ses interlocuteurs, comme ses cadres, viennent de tous les horizons : du Moyen-Orient, d’Afrique, d’Europe, d’Asie et même d’Amérique et d’Océanie. Sa « marque », boostée par le « label » califat, connaît un grand succès sur les réseaux sociaux, les retombées dans la presse sont importantes et attirent de plus en plus de « franchisés » potentiels : Libye, Yémen, Pakistan, Somalie et Nigéria…

L’État islamique permet à des groupes comme Boko-Haram d’agir en son nom, à condition qu’ils adoptent leur couleur, leurs méthodes (façon d’exécuter, attentats…) et produisent des contenus de la même qualité. Des instructeurs sont même dépêchés sur place pour assurer la formation de ces nouvelles filiales, qui profitent de la notoriété de l’organisation pour attirer les dons et les nouvelles recrues ou encore pour négocier à la hausse le prix des otages.

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Les vidéos de Boko Haram sont plus professionnelles depuis l’allégeance à Daesh.
C’est cette dimension médiatique et économique qui fait la grande nouveauté de Daesh. Tout comme ses contradictions : à la fois groupe le plus fondamentaliste, par son interprétation du Coran et la remise en place du califat, et le plus ouvert sur l’Occident, ses ressortissants et ses technologies. Il prône la lutte contre les chiites et l’Occident, pourtant ce sont les sunnites qui sont ses principales victimes.

Son idéologie, proche du wahhabisme d’Arabie Saoudite – très stricts, les Saoudiens vont jusqu’à recouvrir de béton les tombeaux de la famille de Mahomet pour éviter l’idolâtrie – préconise la destruction des lieux de culte et des objets jugés déviants. Mais elle s’efface bien vite devant les euros et les dollars que des collectionneurs peu scrupuleux déboursent pour s’offrir ces pièces d’exception.

Une secte ?

Un lavage de cerveauDes personnes déboussolées
Tous les membres de Daesh sont fanatisés, apprennent par cœur la propagande de l’organisation et les textes religieux. Tous sont capables de réciter des imprécations envers les autres musulmans et des menaces contre l’Occident. Ils utilisent des phrases chocs, tant dans les vidéos que dans les conversations en ligne qu’ils ont avec des candidats au djihad. La folie de Daesh pousse ses membres jusqu’à organiser des concours de récitations des versets les plus violents du Coran : des esclaves sont offertes au gagnant.

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Les lionceaux du califat, fer de lance de la campagne d’endoctrinement de l’organisation.
Les motivations de ses membres sont aussi variées que contradictoires : des Syriens issus de la révolution contre le régime de Bachar qui s’allient à l’État islamique faute de mieux ; des convertis occidentaux qui partent  dans une aventure fantasmée sans jamais avoir mis les pieds dans une mosquée ; des djihadistes proches des mercenaires, qui vivent au gré des conflits, du Pakistan au Sahel ; des musulmans radicalisés par des prêcheurs financés à coup de pétrodollars et qui font plus dans la géopolitique que dans le religieux.

Des gens perdus dans un monde où le progrès des nouvelles technologies rend d’autant plus visibles et insupportables ses inégalités ; où la diffusion des « valeurs » occidentales, émancipatrices et individualistes, brouille les rapports ancestraux à la culture et à la communauté ; et où pourtant, la démocratie, si valorisée en Occident, reste la tyrannie ailleurs. Tyrannie religieuse, tyrannie politique, tyrannie économique : chacun trouvera une raison, bonne ou mauvaise, de s’indigner et de rejoindre une organisation qui prend l’aspect d’une secte mais cache le cancer de notre société.

 

Pour creuser la question :

Daesh, ni terroriste, ni étatique, ni sectaire ?
Quelles différences avec al-Qaïda ?
Quelles différences avec les Talibans ?
État islamique, EI, EIIL, Daesh : comment nommer l'organisation ?
Journaliste, diplômé en économie et en histoire, j'ai fait mes classes au service sport du quotidien La Marseillaise avant de tomber dans le Web et l'actualité du numérique. Avec Snackable, je vais essayer de vous faire partager ce qui me passionne ou m'interpelle.

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