Société

Une nouvelle fois, un noir a été abattu cette semaine par un policier blanc aux États-Unis. Alors que ces événements sont de plus en plus médiatisés de ce côté de l’Atlantique, il est nécessaire selon moi de rappeler une vérité tragique : c’est courant aux US, mais pas pour les raisons qui nous viennent trop facilement à l’esprit.

[MàJ le 08/07/16 : Malheureusement, cet article peut également concerner les derniers cas de bavures policières qui ont coûté la vie à Alton Sterling, tué à bout portant par un policier blanc ce mardi 5 juillet en Louisiane, Philando Castile, abattu le lendemain dans le Minnesota lors d’un contrôle routier en présence de sa famille.

S’il est encore trop tôt pour savoir le déroulement exact de ces drames, il ressort que ces deux hommes étaient armés lors de leur interpellation mais ne présentaient pas la moindre menace pour les policiers.

Des policiers victimes à leur tour ce jeudi 7 juillet : lors d’une manifestation contre les violences policières à Dallas, des snipers ouvrent le feu contre les forces de l’ordre, tuant 5 policiers et en blessant 6 autres.]

Le 23 décembre, à Berkeley, à quelques kilomètres de Ferguson, Antonio Martin, 18 ans, a été tué par un policier en état de légitime défense.

Depuis le 9 août et la mort à Ferguson de Michael Brown, abattu de six balles par l’agent Darren Wilson alors qu’il n’était pas armé, cette petite ville de l’État du Missouri – où les noirs sont majoritaires, sauf dans la police – est devenue le symbole et le centre d’un large mouvement qui a réveillé « le débat national sur la race et la justice« , selon les mots du Time. Le magazine a même sélectionné les « activistes » de Ferguson dans la liste du fameux Person of the Year 2014, juste derrière le personnel médical impliqué dans la lutte contre Ebola.

Le mouvement s’est renforcé lorsque Tamir Rice, un enfant de 12 ans qui a eu la malheureuse idée de s’amuser dans un parc avec un faux pistolet, a été tué à Cleveland fin novembre ; lorsque au même moment, Darren Wilson puis Daniel Pantaleo – flic new-yorkais qui étranglait Eric Garner, vendeur illégal de cigarettes, lors de l’arrestation mortelle de ce dernier en juillet – sont acquittés ; ou encore lorsque plusieurs dizaines de milliers de personnes ont manifesté dans les rues de New-York mi-décembre, scandant « Don’t shoot » et « I can’t breath » (« Ne tirez pas » et « Je ne peux pas respirer »), les dernières paroles de Michael Brown et Eric Garner.

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Image tirée de la vidéo de l’arrestation d’Eric Garner

Jusqu’ici, j’ai toujours hésité à revenir sur ces événements, d’une part car chacun a ses spécificités et qu’il est difficile d’expliquer ce qui s’est réellement passé, d’autre part car je ne voulais pas m’avancer dans des interprétations douteuses sur la société américaine et ses forces de police. Les faits qui ont conduit à la mort de Michael Brown sont encore très troubles. Ceux, filmés, des cas Eric Garner, Tamir Rice et Antonio Martin ne laissent quant à eux pas de place au doute : dans les deux premiers, l’erreur policière est flagrante. Dans le dernier cas, on voit clairement le jeune homme pointer ce qui se révélera être une arme vers le policier.

Pourtant, peut-être du fait de la distance avec Ferguson, de nombreuses personnes sont allées sur le lieu du drame, accusant à nouveau la police de racisme. Deux jours plus tard, des actions étaient encore organisées à proximité de la station-service où est mort Antonio Martin, bien que les vidéos de surveillance aient été diffusées la veille. La haine de la police est criante et elle peut prendre un aspect aussi exceptionnel que spectaculaire, à l’image des deux officiers abattus dans leur voiture de patrouille à New-York le 22 décembre.

[MàJ le 08/07/16 : Un schéma qu’on retrouve aujourd’hui avec l’attaque de Dallas, alors que les vidéos de bavures, filmées parfois par des proches (comme c’est le cas pour Philando Castile, dont la fin est immortalisée par sa petite amie, Diamond Reynolds) et largement diffusées sur les réseaux sociaux, attisent la rancœur envers la police et donnent l’impression que ces cas sont de plus en plus courants.]

Blancs, noirs et hispaniques égaux face au risque d’homicide légitime

Ce sont ces deux événements qui m’ont décidé à évoquer le sujet. Celui-ci est délicat, tant les ramifications politiques, sociales et culturelles (la place des noirs aux États-Unis, un demi-siècle après la fin de la ségrégation), voire économiques (lien entre pauvreté et criminalité, suréquipement des policiers motivé par l’industrie de l’armement…) sont diverses. Aussi, je ne cherche pas à expliquer ces événements, mais vais simplement essayer de vous présenter quelques éléments qui selon moi, devraient être plus souvent évoqués lorsque l’on traite ces cas, d’autant que leur absence laisse la place aux raccourcis douteux. Un bon exemple est cet article du Monde titré « Racisme et militarisation, la face cachée de la police américaine » qui, vous pouvez le constater, utilise les mêmes arguments que moi, sans en tirer les mêmes conclusions.

L’élément auquel il faut accorder le plus d’importance selon moi est la fréquence des arrestations qui se soldent par la mort du suspect aux États-Unis. Selon un rapport du Département de la Justice US, les forces de police ont procédé à 97,9 millions d’arrestations sur la période 2003-2009. 4813 fois, l’arrestation s’est soldée par la mort du suspect. 2931 de ces morts sont directement imputables à la police qui a fait usage de la force létale, soit 61,5% des cas, le reste étant lié aux accidents ou encore aux suicides. Il y a donc en moyenne chaque jour plus d’une personne tuée par la police au cours d’une arrestation !

[MàJ le 08/07/16 : En 2016, 566 Américains, blancs, noirs ou hispaniques ont été tués par la police. Les pourcentages évoqués ci-dessous sont cependant ceux mis en avant ces derniers jours et ces dernières heures par les médias français. Une étude publiée dans le journal britannique The Guardian, datée de janvier 2016, est également citée : on apprend qu’un jeune noir américain a cinq fois plus de chances d’être tué par la police qu’un autre américain du même âge.]

Comme le met en avant l’article du Monde, le suspect décédé est blanc dans 42,1% des cas, noir dans 31,8% des cas et hispanique dans 19,7% des cas. Bien que cette série concerne tous les types de décès, celle liée aux homicides est relativement similaire. Ces chiffres sont comparés à l’importance de ces différentes communautés dans la population totale du pays, qui est respectivement de 63,7%, 12,2% et 16,3%… Les minorités semblent en effet victimes d’un grave déséquilibre.

Les noirs plus souvent visés que les autres communautés ?
Les noirs plus souvent visés que les autres communautés ?

Mais lorsqu’on s’intéresse aux causes du décès au sein d’un même groupe, les chiffres donnent une vision plus nuancée : 60,9% des blancs tués le sont directement par la police, contre 61,3% des noirs et 63,1% des hispaniques. Difficile de parler de racisme dans ces conditions.

Blanc, noirs et hispaniques égaux face au risque d'homicide
En réalité, blancs, noirs et hispaniques sont relativement égaux face au risque d’homicide

Ce document nous apprend également que 1,6% de personnes tuées directement par la police se sont révélées être totalement innocentes. Cela fait environ 47 « bavures » entre 2003 et 2009, soit une petite dizaine par an.

78% des suspects tués par des policiers noirs sont également noirs

Une autre statistique à avoir en tête, c’est le taux de policiers blancs dans les effectifs totaux des forces de l’ordre US. Je n’ai pas trouvé un chiffre représentatif satisfaisant pour l’ensemble du pays, au mieux des estimations : sur les 750 000 policiers américains, deux-tiers sont blancs. Un chiffre plutôt en rapport avec la part de cette communauté dans la population américaine. Par contre, on constate de fortes disparités locales. Selon l’article du Monde : « 72% des villes où la population noire représente au moins 5% de la population totale connaissent une sous-représentation des Noirs dans les effectifs de la police par rapport aux Blancs. »

La mort d’un suspect noir lors de son arrestation par un policier blanc n’est donc pas une chose rare et parmi les centaines de cas recensés chaque année, il y a malheureusement la place pour quelques bavures. Mais les blancs et les hispaniques sont aussi concernés. Et la police n’est pas composée que de blancs… Le site indépendant ProPublica a récemment décrypté les rapports du FBI pour la période 2010-2012. Il révèle que les policiers noirs sont impliqués dans environ 10% des « homicides légitimes », selon le terme employé lorsqu’un officier fait usage de la force létale. 78% des suspects victimes sont des noirs.

Les événements du type Ferguson mettent en avant plusieurs problématiques, comme la surreprésentation des noirs en matière d’arrestation par rapport à la place qu’ils occupent dans la société américaine ou la surreprésentation des blancs dans les forces de l’ordre au sein de certaines municipalités pourtant à dominance afro-américaine. Ce n’est cependant pas ça qui provoque un événement type Ferguson. Ça permet juste de comprendre pourquoi, statistiquement, les conditions sont réunies pour que, régulièrement, un noir soit tué par un policier blanc.

Difficile donc, dans ce cas précis, de parler de racisme. Je ne dis pas que la société US ne conserve pas des traces de son honteux passé ségrégationniste. Je dis que tout ne se résume pas à une histoire de couleur de peau, si vous voulez mon avis. J’insiste là-dessus : ce que je vais écrire maintenant représente mes conclusions personnelles, qui ne se basent sur aucune étude approfondie. C’est les fêtes et je n’ai pas la tête à passer des jours sur le sujet. Aussi, je vais me contenter de vous donner quelques axes de réflexions.

[MàJ le 08/07/16 : Idem. Pas pour les fêtes bien sûr, même si je pourrais évoquer l’été et l’Euro. Mais sans encore avoir trouvé une étude sérieuse, cette mise à jour est justifiée car, il me semble, très peu de médias évoquent ces pistes en couvrant les derniers événements, à l’exception notable de France Inter]

Des bavures fréquentes mais des réalités différentes

Premièrement, je pense qu’il faut faire attention aux amalgames. Chaque affaire est une situation unique et non une pièce qui s’intègre dans une trame générale. À moins de s’y intéresser en détail, il est facile de ne retenir qu’un schéma simpliste : un noir tué par un policier blanc. Puis un deuxième, puis un troisième… Les médias sont dans une séquence post-Ferguson et le risque de voir un événement évidemment trop fréquent être traité sous l’angle « encore un noir tué par un policier blanc« , qui sous-entend que les situations sont similaires, est élevé.

Une manifestation à Ferguson
Une manifestation à Ferguson

Bien-sûr, certains exemples récents sont marquants par la disproportion entre la menace d’un individu et la réponse des représentants de la loi. Je pense à Tamir Rice, dont le caractère factice de l’arme avec laquelle il jouait avait été signalé à la police. Entre le moment où la voiture apparaît à l’écran et le moment où Tamir Rice est abattu, il se passe seulement quelques secondes. Difficile d’imaginer que le policier ait laissé le temps au garçon de se rendre, alors que ce dernier n’a pas instinctivement lâché son jouet. Je pense aussi aux affaires où plusieurs policiers arrivent à vider leur chargeur sur une unique personne, comme ce fut le cas pour Amadou Diallo en 1999, touché par 19 des 41 balles (WTF??) tirées contre lui par quatre policiers, alors qu’il avait mis sa main à la poche pour chercher ses papiers. Les exemples sont trop nombreux pour en faire une liste exhaustive…

Mais certaines situations sont bien différentes : contrairement à ce qu’on pourrait penser, c’est le cas de Michael Brown à Ferguson. Le policier Darren Wilson n’a pas été poursuivi car les preuves ADN semblaient accréditer sa version : il y aurait bien eu bagarre entre les deux individus, Brown cherchant à s’emparer de l’arme de Wilson. On ne saura jamais vraiment la vérité, mais ces informations apportent un nouvel éclairage. On peut bien sûr dire que la police a falsifié les preuves… Après, si tout doit être expliqué par la théorie du complot, plutôt arrêter ma quête d’une carte de presse et partir cultiver la châtaigne dans l’Aveyron. Bref, revenons à notre sujet : il ne faut pas déconner avec les forces de l’ordre outre-Atlantique. Reste deux questions : pourquoi ne faut-il pas déconner avec les forces de l’ordre et pourquoi les noirs et les hispaniques sont plus touchés par ces débordements ?

Les minorités victimes de la pauvreté et des récentes politiques anti-criminalité

Je pense que si les noirs et les hispaniques sont les plus visés par la police et les plus représentés dans le milieu carcéral, c’est qu’ils sont les criminels les plus susceptibles d’être appréhendés par cette dernière. Attention, je n’affirme pas qu’on est un criminel en puissance dès qu’on est black ou latino. Par contre, on peut imaginer que la criminalité la plus « dense » est concentrée dans les quartiers les plus défavorisés, où les trafics, les vols et les agressions sont plus visibles. Or, qui est contraint d’habiter ces quartiers dans la majorité des cas selon vous ?

Pour caution, je vais citer cet extrait d’un article du sociologue Nicolas Duvoux, publié sur le site du Monde cet été : « les populations vivant dans les quartiers où la pauvreté est concentrée sont ainsi surexposées, de manière absolument disproportionnée, à l’incarcération. Selon les calculs du sociologue de l’université Harvard Bruce Western, pour les hommes noirs sans diplôme, la probabilité d’être incarcéré au cours de leur existence a été évaluée à 60 %. […] Le chômage et le sous-emploi frappent, de manière endémique, les centres urbains où sont concentrés les pauvres noirs (et latinos) depuis plusieurs décennies. Ils ont fortement contribué à l’augmentation de la criminalité et de l’incarcération, mais cette dernière contribue, en retour, à empêcher toute stabilisation économique, sans même parler de progrès économique et social pour ces populations. »

En étant incarcérées, ces personnes ne peuvent pas travailler et donc gagner de l’argent. Elles n’ont pas un CV très reluisant et laissent souvent une famille dans une situation économique précaire. Autant d’éléments qui expliquent un enlisement dans la pauvreté, dans les quartiers difficiles et donc, dans la criminalité.

Dans une étude de 2013, l’American Civil Liberties Union révélait que les noirs étaient arrêtés 3,73 fois plus pour possession de marijuana que les blancs, alors que la consommation est sensiblement la même dans les deux communautés. Plus que par une logique purement « raciale », ces chiffres pourraient s’expliquer par le fait que les ventes dans la communauté noire se font dans la rue, permettant des arrestations plus faciles. Le cas de la marijuana n’est pas anodin : si ce délit semble mineur, c’est l’un des motifs d’arrestation les plus courants et donc, même si le risque est infime, l’un de ceux qui sont les plus susceptibles d’entraîner la mort du suspect.

Eric Garner, victime de la doctrine de la vitre brisée ?

Cela m’amène à ma deuxième piste. En se concentrant sur les quartiers où il y a le plus de crimes, le plus de pauvres et donc de minorités, la police entretient le cliché minorité = criminalité. Dans la mort d’Eric Garner, il y a fort à parier que la politique de tolérance zéro appliquée dans certains quartiers par la police new-yorkaise a sa part de responsabilité. Régulièrement, on y constate des excès de zèle pour des délits mineurs, ce qui explique d’autres bavures mais aussi le succès des manifestations récentes dénonçant les brutalités policières.

Cette politique s’appelle la doctrine de la vitre brisée. Le journaliste américain Jamelle Bouie en donne la définition dans un article de Slate (repris par la version française), consécutif à la mort d’Eric Garner : « une fenêtre brisée crée l’apparence du désordre, et cette apparence génère elle-même du désordre, puisque les voleurs tirent parti de cet environnement devenu propice. Les policiers ne doivent pas attendre que la situation dégénère pour intervenir: ils doivent «réparer les fenêtres» –se concentrer sur la petite délinquance pour tuer dans l’œuf les infractions plus graves. » Si la mise en place de cette politique en 1993 correspond à une baisse simultanée de la criminalité à New-York, la corrélation des deux n’a jamais été prouvée. Pire, cette politique entraîne des interactions beaucoup plus fréquentes entre les forces de l’ordre et les populations noires et hispaniques, pour des délits souvent mineurs, alors qu’on retrouve ces mêmes délits dans d’autres quartiers et au sein d’autres communautés.

D’où l’agacement d’Eric Garner, le vendeur de cigarettes à la sauvette, toutefois déjà connu de la police pour des faits similaires. À force, le risque de résistance est selon moi augmenté. Cette doctrine peut aussi, je pense, être une explication aux multiples plaintes pour « racisme » dont a fait l’objet Daniel Pantaleo, à l’origine de la mort de Garner, dans sa carrière new-yorkaise.

Quand ils se sentent menacés, les policiers tirent de peur d’être dépassés

Enfin, l’article de Bouie évoque un dernier élément à prendre en compte. Je ne suis pas très à l’aise avec lui, puisque cet argument semble fréquemment avancé par des auteurs engagés pour appuyer une explication « raciste », alors que j’essaye depuis le début de cet article de dépasser ce constat trop simpliste. Mais ce dernier point va me permettre d’ouvrir une troisième piste de réflexion susceptible d’expliquer l’intransigeance des forces de police, so, i don’t give a fuck. Selon Bouie donc, les noirs sont plus souvent visés car ils inspirent un sentiment de crainte. On les pense plus vieux et plus forts que ce qu’ils sont en réalité, d’où des réponses excessives. On notera que c’est l’un des arguments que Darren Wilson donnera plusieurs mois après la publication de cet article pour expliquer sa réaction face à Michael Brown et que le Monde utilise également cette explication.

"Don't challenge them"
« Don’t challenge them »

Si cette théorie semble orientée, elle m’a guidée vers une dernière piste, qui traite elle aussi de la représentation du danger. Si un homme (dans 95% des cas) est tué chaque jour par la police, il ne faut pas oublier que les policiers payent également un lourd tribut : en moyenne un mort en service tous les deux jours, et un tiers d’entre eux sont tués à l’aide d’une arme à feu. Du moins pour les années 2009, 2010 et 2011, le seul chiffre mentionné dans la presse pour 2014 étant de 27 policiers tués. Je pense que tous les policiers outre-Atlantique sont à cran, dans un pays où il y a quasiment autant d’armes en circulation que d’habitants. Les policiers, devant un suspect blanc ou noir dont l’arrestation s’avère difficile et qui fait le moindre geste brusque (mettre sa main dans la poche, ce qui est régulièrement évoqué pour expliquer une bavure), préfèrent tirer « en premier ». Depuis plusieurs années, les jeunes policiers s’entraînent à survivre dans ce qui est considéré comme un milieu hostile. Cela ne justifie en rien la mort d’une personne mais c’est un facteur à prendre en compte.

[MàJ le 08/07/16 : Pour conclure également cette mise à jour, je voudrais présenter deux autres éléments. Le premier compare l’évolution des homicides en Europe et aux US. On voit clairement le problème que représente la violence dans la société américaine, et on peut supposer de son incidence sur le comportement de la police.  Dans le syllogisme « les criminels sont armés, les noirs sont des criminels, donc les noirs sont armés », par lequel certains seraient tentés d’expliquer le raisonnement des policiers, je pense que la première proposition pèse plus que la seconde sur le doigt qui appuie sur la détente.

Avec certaines villes aussi violentes que les cités européennes médiévales, on imagine que la police se doit d’être bien équipée, voir trop équipée. Le Monde pointait du doigt les liens entre forces de l’ordre et industrie de l’armement. Voici le cas de Chase Sherman, un blanc, tué en plein crise d’hallucination alors que sa famille avait appelé la police pour le calmer. Une vidéo qui démontre l’utilisation sans limite de la violence par les forces de l’ordre (pas moins de 15 coups de Taser contre un homme prostré à l’arrière d’une voiture, dans les vapes, qui se débattait seulement pour éviter le prochain coup) et l’absence totale de procédure d’intervention.
Surarmement et absence de limite dans un environnement ultra-violent : un cocktail qui multiplie les risques pour les personnes interpellées aux US, qu’elles soient noires, hispaniques ou blanches comme c’est le cas de Chase Sherman.]

 

En conclusion :

Quand un suspect est tué par un policier au cours d’une arrestation, on constate que la couleur de peau, tant de la victime que du tueur, influe peu. Mais puisque les noirs et les hispaniques sont plus fréquemment contrôlés, ils sont aussi plus victimes de ces débordements, par rapport à la place qu’ils représentent dans la population totale. D’un autre côté, la majorité des policiers étant blancs, comme le reste de la population américaine, les policiers blancs sont donc plus souvent impliqués.

Si les noirs semblent être contrôlés sur la base de critères « racistes », comme assimiler menace et couleur de peau, il faut aussi avoir en tête que les policiers se basent sur des statistiques comme l’origine ethnique de l’auteur des crimes pour effectuer les contrôles. Or, étant donné que la police concentre son action sur des quartiers défavorisés où les crimes sont plus nombreux, et que les minorités ethniques y sont plus représentées, la probabilité que l’auteur d’un crime soit noir ou hispanique est plus élevée. C’est l’histoire du serpent qui se mord la queue.

On peut ainsi mettre en cause la « ghettoïsation » de certains quartiers, les conséquences néfastes des politiques de tolérance zéro ou la nervosité des forces de police par rapport au risque de se trouver face à une personne armée. Mais mettre simplement l’accent sur le racisme, sans chercher ce qui peut le provoquer, est un raccourci trop dangereux et parfois trop visible dans la presse. La mort des deux policiers new-yorkais et les six personnes arrêtées depuis pour des projets d’attentats similaires l’illustrent. Et ça ne devrait pas aider les policiers à se détendre…

L’objet de mon article n’est pas de justifier le comportement de la police ou de nier les nombreux problèmes dont souffrent les États-Unis, comme par exemple la clémence dont bénéficient certains policiers devant les tribunaux, même pour les bavures les plus flagrantes. On peut aussi évoquer le mode de calcul officiel du nombre d’homicides légitimes, qui sous-estime sans doute la réalité (bien que ça ne signifie pas que la proportion entre victimes blanches, noires ou hispaniques soit modifiée…). Et si j’avais envie de passer encore quelques heures sur cette thématique, je vous aurais parlé d’autres bavures ou relaxes lors d’un procès,  d’autres chiffres montrant la violence de la rue, qui fait aussi des victimes chez la police. Vous l’aurez compris, aborder ce sujet revient à aborder une multitude de problématiques, qui divisent largement la société américaine et, sans une étude complète de cet ensemble, ce qui est laborieux étant donné les positions partisanes, il est difficile de donner des explications sans se tromper. Retenez simplement que je cherche à montrer ici que le racisme est l’arbre qui cache la forêt.

Crédit photo : Flickr / CC (Sam VerhaertYouth RadioTom Carmony) , YouTube (Ramsey Orta)