C‘est un coup de pub inattendu dont profite aujourd’hui Kanavape, à l’occasion de la commercialisation en ligne de sa vapoteuse à « cannabinoïdes, 100 % légal ».

Cette précision est donnée par Antonin Cohen, fondateur de l’entreprise franco-tchèque, en réaction aux déclarations sur RTL de la ministre de la Santé Marisol Touraine, qui veut faire interdire ce « joint » électronique, car il inciterait « à la consommation de cannabis. »

Il n’en fallait pas plus pour attirer l’attention des médias et rouvrir un sujet brûlant pour le gouvernement, tout en donnant l’occasion à Kanavape de défendre son produit.

Marisol Touraine semble à côté de la plaque…

Il y a de quoi : Kanavape ne commercialise pas « une cigarette au shit« , selon la formule parfois employée aujourd’hui, mais au chanvre (Made in Marseille d’ailleurs). Ici, peu de THC (0,2%, contre en moyenne 15% pour le cannabis récréatif), la molécule associée aux effets psychotropes de la marijuana. « Notre produit ne doit pas être considéré comme une alternative au pétard. Il n’a aucun effet psychotrope ou psychotype« , précise Antonin Cohen : « on travaille sur d’autres molécules présentes dans le chanvre« .

La molécule en question est le cannabidiol (CBD), qui provoque l’effet analgésique et anti-stress associé à la consommation du cannabis. Des « bienfaits » mis en avant par la société, qui présente sa vapoteuse comme une alternative à la médecine traditionnelle. De quoi alarmer la ministre de la Santé, de peur peut-être d’entendre la question de l’usage du cannabis thérapeutique lui être posée.

C’est ce que fait pourtant le docteur William Lowenstein, président de SOS Addiction et donc curieux « soutien » de Kanavape sur l’antenne de France Info. Il n’hésite pas à parler d’un produit « sans danger« , qui bénéficie d’une part des avantages du vapotage, d’une autre, de ceux du CBD et ses « visées thérapeutiques« . Quant à la volonté d’interdire de Marisol Touraine, le Dr Lowenstein pense qu’avec ce genre de mesures, « on n’aurait pas eu d’anti-douleur au XXIe siècle« , à cause des effets de l’héroïne. Pour lui, les chiffres de « la consommation » prouvent « que l’interdiction ne sert à rien, on est dans la discussion politicienne et pas dans le combat sanitaire. Ça fait trois générations qui fument du cannabis. Il ne faut pas penser qu’interdire est la seule solution. »

Sébastien Béguerie, co-fondateur de Kanavape, dans une plantation de chanvre provençale / Kanavape
Sébastien Béguerie, co-fondateur de Kanavape, dans une plantation de chanvre provençale / Kanavape

D’un autre côté, les associations en faveur de la consommation du cannabis voient l’arrivée de cette vapoteuse avec suspicion : cité par LeMonde.fr, Pierre Chappard, président de PsychoActif, évoque un « coup commercial sur le dos des consommateurs. Rien qu’en s’appelant Kanavape, ils font croire que ça a l’effet du cannabis« . À 49 euros la e-cigarette et 24,90 euros la recharge de 0,5ml (200 bouffées environ), on peut penser que la méprise serait en effet profitable à Kanavape. Mais pas sûr qu’un tel prix incite les consommateurs réguliers de « chichon » à franchir le pas.

« ​On est parti du constat que les gens avaient un comportement à risque en consommant du cannabis la plupart du temps mélangé à du tabac et via une combustion classique. On s’est intéressé à la cigarette électronique pour offrir le même moyen aux consommateurs de cannabis, afin de réduire les situations à risque« , confiait ainsi le dirigeant de Kanavape dans un interview donnée à Vice ce weekend (que je vous recommande, si le projet vous intéresse). Mais Antonin Cohen, fondateur il y a plus de six ans de l’Union Fr​​ancop​hone pour les Cannabinoïdes en Médecine,  vise avant tout les malades obligés de se tourner vers le cannabis pour se soulager, avec tous les risques qui y sont associés.

Kanavape, un objectif thérapeutique un peu fumeux ?

Sans occulter sa volonté de faire du business (il faut bien être rentable), les intentions d’Antonin Cohen paraissent louables. Et alors que l’État français a autorisé la mise sur le marché l’an prochain d’un médicament à base de cannabinoïdes comme le Sativex pour les patients atteints de sclérose en plaques, la réaction de Marisol Touraine semble paradoxale, voire incohérente. D’autant que, on le voit, elle attire l’attention sur l’usage thérapeutique et rouvre la question sous-jacente de la légalisation (ou dépénalisation), tandis que son arbitraire met en exergue l’absence de débat en France sur le sujet, comme le regrettait Christiane Taubira, ministre de la Justice, il y a peu sur le plateau du Petit Journal.

Pourtant, cette réaction est tout à fait normale, replacée dans le cadre de la politique de santé publique française menée depuis plusieurs années.

Pas de légalisation sans remise en cause des mesures anti-tabac

À première vue, la décision de Marisol Touraine pourrait s’expliquer par la volonté de ne pas voir ces produits se développer en France. Être inflexible avec Kanavape, c’est couper l’herbe sous le pied aux éventuels entrepreneurs qui voudraient commercialiser un véritable « joint électronique », avec THC. Car si les e-cigarettes utilisent pour l’instant des doses liquides, il est déjà possible de vaporiser directement du cannabis, via des dispositifs souvent encombrants et onéreux.

Aux États-Unis, depuis la légalisation de l’usage récréatif dans les États du Colorado et de Washington, le secteur est en plein boom. On a déjà parlé des restaurants ou des cours qui se développent outre-Atlantique, mais les startups sont nombreuses et imaginatives : applications, sites de e-commerce et bien sûr, vaporisateurs. La société Herbalizer présente ainsi son produit comme un dispositif d’aromathérapie, utilisable avec toutes sortes d’herbes, de la menthe à la lavande… A priori, rien qui n’interdit une commercialisation en France.

L’autre raison de l’inflexibilité de Marisol Touraine, c’est de réaffirmer son intention de laisser clos le dossier de la légalisation du cannabis, qui revient régulièrement sur le devant de la scène parlementaire. Les arguments en sa faveur son pourtant nombreux, des revenus fiscaux aux emplois créés dans les banlieues et ailleurs, en passant par le soulagement des forces de l’ordre, la baisse des revenus des trafiquants, le meilleur contrôle de l’État, tant au niveau de la qualité de la production que de la prévention.

Cannabis : combien de Français concernés ?

L’un des principaux arguments avancés par les consommateurs français désireux de ne plus être traités en délinquants est la légalité du tabac et de l’alcool, dont les risques pour la santé sont pourtant avérés. Et c’est justement sur ce point qu’il y a blocage : comment légaliser le cannabis au même titre que le tabac, compte tenu des politiques de lutte contre le tabagisme mises en place par l’État ?

C’est ce qu’expliquait Marisol Touraine à Aymeric Caron sur le plateau d’On n’est pas couché en novembre dernier. La séquence (début à 19:20) dure un peu plus de cinq minutes, mais elle aborde à la fois la problématique du tabac et du cannabis et est assez drôle.

Tout est une question de cohérence donc, d’autant plus que, comme le signalait Antonin Cohen, le fondateur de Kanavape, les Français fument l’herbe avec le tabac, contrairement aux consommateurs américains et d’une façon plus marquée que nombre de nos voisins directs.

Par contre, la France n’en est pas à une incohérence près : outre ses atermoiements sur l’usage de cannabinoïdes en médecine, comment expliquer ses scrupules à autoriser la commercialisation d’un dispositif comme Kanavape, alors qu’elle autorise la vente par les buralistes de feuilles à rouler longues, de filtres en carton et même de feuilles de blunt ?

Crédit photo : Kanavape & Flickr (Park Ranger ; Claudio Lobos )

Journaliste, diplômé en économie et en histoire, j'ai fait mes classes au service sport du quotidien La Marseillaise avant de tomber dans le Web et l'actualité du numérique. Avec Snackable, je vais essayer de vous faire partager ce qui me passionne ou m'interpelle.

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