Voilà quelque chose qui a dû arriver à beaucoup de gamer de plus de 18 ans.
Et avec du recul, c’est une situation curieuse en 2016. Parce que le jeu vidéo est devenu un très gros truc. Alors je ne vais pas vous dire que l’industrie du jeu vidéo pèse plus que l’industrie du cinéma : c’est faux.
Par contre, ce qui est vrai c’est que le jeu vidéo fait aujourd’hui partie des industrie culturelles majeures qui sont proposées à l’être humain avec le livre, le cinéma et la musique.
Seulement il y a des phrases que vous n’entendez jamais :
Vous n’entendez jamais ces phrases parce qu’il serait absurde pour quelqu’un de rejeter en bloc les domaines aussi vastes et variés que sont le cinéma, le livre ou la musique.
Par contre, vous avez probablement entendu toutes ces phrases pour justifier l’absence de pratique du jeu vidéo et c’est là sa particularité : c’est le seul à être rejeté de facto par une grande partie de la population.
Alors dans cet article, on va essayer de voir pourquoi le jeu vidéo est rejeté en bloc, comme ça, par autant de gens parce que je ne pense pas que tout ceux qui condamnent le jeu vidéo sont des vieux cons ou des gens décérébrés. Je pense juste qu’ils n’ont pas compris la richesse et le potentiel du jeu vidéo. Car c’est un medium absolument unique qui peut apporter des choses extrêmement variées au joueur. Tous ceux qui ont versé une larme lors de la mort d’Aerith, qui ont parcouru sans limite les vastes plaines de Bordeciel ou qui ont cru trouver la paix intérieure en jouant à Life Is Strange vous le confirmeront.
Le jeu vidéo est bien plus que ce que vous pensez
Le premier problème du jeu vidéo, c’est son nom. Il ne vous viendrait pas à l’esprit de mettre dans la même catégorie le petit film de 5 minutes réalisé par des étudiants en cinéma que vous avez trouvé sur Vimeo et un blockbuster produit par Marvel, n’est-ce pas ? Pourtant le principe est le même : vous racontez quelque chose avec des images et des sons. Cependant le premier est un court-métrage, le second est un film, un blockbuster qui plus est. Vous êtes conscients qu’on ne peut pas les mettre dans le même panier.
Pourtant dans le monde videoludique, tout a le même nom, Candy Crush Saga est un jeu vidéo, GTA5 est un jeu vidéo, Final fantasy est un jeu vidéo. Vu de l’extérieur, tous les jeux vidéo se ressemblent mais c’est pourtant une insulte de mettre Candy Crush Saga (un jeu réalisé par le diable en personne pour faire de vous un junkie de l’alignage de putains de bonbons) sur le même plan que GTA5, un jeu sur lequel des centaines de personnes ont travaillé pendant des années pour vous offrir une expérience sans limite dans un monde gigantesque, ouvert , bourré de détails et de vie.
Et pourtant c’est ce qu’il se passe, cette absence de termes différents donne l’impression que le jeu vidéo est un tout homogène.
Mais après ce que ça veut aussi dire, c’est que si vous avez passé un temps non négligeable sur Angry Birds, Candy Crush ou 2048, cela suffit pour faire de vous un gamer/une gameuse. Bienvenue, maintenant que vous faites partie du club vous n’allez pas en rester là. Ce serait comme prendre des cours de cuisine et s’arrêter à la recette de l’œuf au plat.
Car le jeu vidéo peut prendre des formes extrêmement diverses. Il y en a pour tous les goûts et toutes les envies. De plus, vous n’êtes pas obligés de tout apprécier, de la même façon que vous n’êtes pas obligés d’aimer tous les genres musicaux pour aimer la musique.
Voici un petit exemple de la diversité des jeux
Commençons par ce qu’on appelle les jeux AAA (prononcer « triple A »). Ce sont des productions à très fort budget qui cherchent plutôt à procurer au joueur une très forte immersion en reprenant les codes des blockbusters hollywoodiens (des jeux comme Tomb Raider, Metal Gear Solid ou Uncharted ). Ce sont les jeux qui ont le droit à leur pub à la télé. Si vous aimez les gros films qui vous en mettent plein la vue, vous devriez y trouver votre bonheur.
D’autres jeux misent tout sur le multijoueur et ne sont là que pour que les joueurs s’affrontent encore et encore jusqu’à maîtriser parfaitement les mécanismes du jeu (des jeux comme LoL et autres moba, le multi de Call of Duty). Là on se rapproche vraiment de l’esprit du sport. C’est le genre de jeux auxquels vous jouez des heures et des heures tous les jours pour perfectionner votre skill. Si vous êtes un dingue de performance et de compétition cela devrait vous satisfaire.
D’autres jeux cherchent d’abord à raconter une histoire complexe dans laquelle le joueur va construire par ses choix le déroulement de l’histoire (les RPGs principalement, je pense à des jeux comme Mass Effect ou les Final Fantasy). C’est le genre de jeux dont on ne ressort pas vraiment le même, vous savez, un peu comme quand vous finissez une longue série TV et que vous avez l’impression qu’une partie de votre vie vient de s’éteindre et ne recommencera plus jamais (sauf que dans le jeu vidéo, vous pouvez recommencer et faire des choix différents, génial non ? ). Si vous aimez lire beaucoup de texte et entrer dans des mondes riches et complexes cela devrait vous plaire (oui toi là-bas qui a lu le tome 5 de Harry Potter en moins d’une semaine, c’est de toi dont je parle).
D’autres jeux vont s’éloigner du jeu proprement dit et mettre le paquet sur l’histoire et la mise en scène. Ce sont les jeux narratifs dans lesquels vos actions en tant que joueur se résument principalement à de l’exploration et des choix dans la façon d’interagir avec les autres et votre environnement (des jeux comme Beyond Two Souls, Life Is Strange ou Until Dawn). Si vous aimez les séries télé c’est assez similaire sauf que vous faites vos propres choix, imaginez avoir une chance de sauver Ned Stark à chaque fois que vous recommencez GoT. (oui désolé j’ai pas mis « Spoiler » mais il y a un moment, c’est dans la première saison ça devient de la culture générale à la fin, ça serait comme gueuler parce que quelqu’un vous dit que Dark Vador est le père de Luke (oups )).
D’autres jeux font le pari de l’oeuvre d’art, par des ambiances recherchées, un travail sur le visuel, la musique et les sons (là je pense à des jeux comme Journey, Okami, Limbo ou Transistor). Si vous avez un compte sur Behance (ou si vous savez ce qu’est Behance) ce genre de jeux devraient vous plaire.
D’autres jeux encore vont principalement se focaliser sur les mécaniques de jeux (beaucoup de jeux de Wii, Minecraft, Fez). Idéal pour réveiller l’enfant créatif et émerveillé qui sommeille en vous et qui a été brimé pendant toute son éducation à coup de « c’est comme ça qu’il faut faire ».
Mais jouer c’est pour les enfants non ?
Pour beaucoup c’est la notion même de jeu qui bloque. Le jeu serait quelque chose de puéril qui n’a plus sa place une fois passé un certain âge.
Eh bien écoutez plutôt ce qu’un certain Nietzsche disait : « La maturité de l’homme, c’est d’avoir retrouvé le sérieux qu’on avait au jeu quand on était enfant. » (Eh oui vous ne vous attendiez pas à lire du Nietzsche dans un article sur les jeux vidéo !)
Car si on prend un peu de recul, le jeu est quelque chose de fondamental dans le développement. L’homme est un animal social et jouer est un principe humain basique : jouer permet de créer un environnement factice, une simulation dans laquelle nous sommes confrontés à des règles spécifiques et où nous devons prendre des décisions. Le jeu se pratique souvent à plusieurs ce qui favorise le travail d’équipe et/ou la compétition.
Tout cela est vrai pour un jeu vidéo, un match de foot, une partie de Risk ou un trap-trap bisous.
Aujourd’hui le jeu est considéré pour beaucoup comme une activité réservée aux enfants que l’on oppose au « sérieux » des adultes mais il s’agit là d’une construction sociale et en aucun cas d’une loi « naturelle ». Le psychiatre américain Stuart Brown a consacré sa vie à étudier les effets du jeu sur le comportement humain, il a d’abord remarqué que l’absence de jeu dans la vie des meurtriers étaient une caractéristique récurrente de ces derniers. Ce fait l’a alors poussé à étudier la question et à découvrir que pour l’adulte, le jeu développait l’optimisme et avait des effets bénéfiques sur la santé, le bonheur, la créativité, la capacité à résoudre des problèmes ou à sociabiliser.
Le mec a même écrit un bouquin là-dessus si ça vous intéresse.
Et il n’est pas le seul. On ne compte plus le nombre d’études qui montrent les effets bénéfiques du jeu et du jeu vidéo sur le cerveau et la personnalité. La primatologue (première fois que j’utilise ce mot) Isabel Behncke a par exemple remarqué que nos plus proches cousins, les bonobos, utilisaient le jeu toute leur vie comme un moyen d’apprentissage et de socialisation.
Un fait qui ne fait pas trop avancer notre réflexion mais j’en parle parce que ça me permet de vous montrer cette magnifique photo :
Il serait donc pas mal d’arrêter d’être mortellement sérieux et de se laisser aller au jeu de temps en temps.
Et si vous n’avez personne pour jouer au monopoly ce n’est pas grave. Testez le jeu vidéo qui pousse juste le concept du jeu très très loin et apporte une complexité et des possibilités en terme d’expérience pour le joueur qui dépassent tout le reste.
Le jeu vidéo est un medium unique
Souvenez-vous des industries culturelles de tout à l’heure.
Le jeu vidéo est différent de toutes les autres. Dans le cinéma, la musique ou la littérature, le consommateur est passif face au créateur de l’oeuvre, il la reçoit, l’apprécie ou pas selon sa sensibilité et voilà. La transmission est en sens unique.
Mais le jeu vidéo est le seul qui permet au consommateur d’agir, il le sort de la passivité et l’oblige à faire des choix, à utiliser sa technique, son intuition et son intelligence pour avancer dans l’oeuvre. Si vous arrêtez de regarder un film, le film continuera, sans vous. Si vous posez votre manette, le jeu vidéo s’arrête car il a besoin de vous pour avancer.
C’est ce fait (digne de Captain Obvious ) qui fait du jeu vidéo une forme d’expression formidable tout à fait inédite. Le créateur du jeu ne vous donne pas un produit fini et standardisé, il crée un monde avec ses propres règles et vous donne les moyens d’y évoluer. Ainsi chaque partie sera unique et chaque joueur aura une expérience différente dont il sera en partie responsable, selon les choix qu’il a fait.
En terme d’expression artistique cela ouvre des possibilités qui vont au-delà de tout ce que les formes d’expressions proposaient jusqu’alors.
Car le jeu vidéo est un art à part entière
Car oui, le débat fait rage entre deux camps :
On ne va pas refaire le débat ici, j’ai joué à Shadow of the Collossus, c’est un art.
Il est même bien plus que ça, quand on y pense il s’agit du meilleur exemple de création humaine où la science et l’art travaillent conjointement au service de l’oeuvre.
Il vous suffit de regarder l’éventail de compétences et de talents d’une équipe de développement d’un jeu vidéo. On retrouve entre autres, un compositeur de musique, des développeurs utilisant les maths et l’informatique pour créer des moteurs graphiques et physiques, des écrivains pour le script et les dialogues, des dessinateurs pour tous les croquis, des architectes virtuels (les level-designers), des sculpteurs virtuels (characters designer ), des acteurs pour le doublage et la motion capture etc…
Je n’essaie pas de vous convaincre que Candy Crush Saga est de l’art bien sûr. Tous les jeux vidéo ne sont pas de l’art de la même façon que la dernière bouse musicale de NRJ n’est pas de l’art. Mais beaucoup de non-joueurs ignorent complètement à quel point certains jeux peuvent nous toucher, nous transporter et nous émouvoir. Ce sentiment est décuplé par le fait que nous sommes pleinement les acteurs de notre expérience. C’est là que le jeu vidéo va à mon sens plus loin que le cinéma par exemple, nous nous identifions souvent aux personnages dans un film mais dans le jeu vidéo, nous sommes le personnage, c’est une expérience beaucoup plus profonde et immersive. Ce qui m’amène au point suivant.
Le jeu vidéo coupe de la réalité, mais c’est bien
On accuse souvent le jeu vidéo d’être chronophage et à juste titre, certains passent leurs journées dans des mondes virtuels mais vous êtes vous déjà demandé pourquoi ?
Fuir la réalité ? Probablement, elle est pas très belle la réalité en même temps, les gens ont toujours cherché à s’évader. Mais il se passe aussi une chose très spéciale lorsque l’on joue à un bon jeu : le temps devient tout à coup une notion plutôt abstraite.
Ça vous est déjà arrivé de faire une activité et d’être absolument à fond ? D’avoir cette sensation que plus rien n’existe ou ne se déroule en dehors de ce que vous faites ?
Bien sûr que cela vous est arrivé, du moins j’espère, comme cela vous arrive lorsque vous ne pouvez pas lâcher la lecture d’un roman passionnant, lorsque vous binge watchez une série sur netflix, lorsque vous jouez de la musique, lorsque vous pratiquez votre sport préféré ou même lorsque vous retrouvez enfin votre moitié pour une soirée ( ͡° ͜ʖ ͡°) .
En psychologie, on appelle ça le flow qui décrit « l’état mental atteint par une personne lorsqu’elle est complètement plongée dans une activité, et se trouve dans un état maximal de concentration, de plein engagement et de satisfaction dans son accomplissement. »
Cette sensation vous coupe totalement de la réalité, lorsque vous regardez un film vous oubliez que le film est une fiction, vous n’avez même plus conscience d’être en train de lire un livre tellement vous êtes dans l’histoire, vous oubliez la douleur, vos problèmes, le monde extérieur.
Cette sensation est extrêmement satisfaisante et le jeu vidéo par l’immersion et les challenges qu’il procure est un des meilleurs moyens d’atteindre cet état d’esprit. Vous couper temporairement du monde extérieur et vous concentrer totalement sur votre tâche n’est pas un acte négatif, c’est un excellent moyen de prendre du recul, de vous échapper et de vous ressourcer. (D’ailleurs, si vous voulez en savoir plus sur le flow, allez lire l’article dédié sur le blog du hacking social).
Alors c’est bien sûr ce sentiment qui provoque l’addiction au jeu et le but ici n’est pas de nier que cela puisse être un problème. Mais ne cédons pas aux clichés des JT de France 2, la très grande majorité des joueurs ne souffrent pas de leur pratique du jeu, les cas d’addiction restent marginaux et si vous n’êtes pas sujets aux addictions en général, il n’y a pas de raisons pour que le jeu soit si différent.
Et enfin, sachez que l’on a rien vu en matière de jeux vidéo
Au mieux, nous en sommes à l’adolescence du jeu mais les évolutions technologiques et le développement de créateurs indépendants va mener le jeu vidéo au-delà de ce que l’on peut imaginer.
Les technologies qui arrivent, cloud gaming, réalité augmentée, réalité virtuelle, vont faire entrer le jeu vidéo dans une autre dimension et j’avoue ne même pas réussir à imaginer ce à quoi pourra ressembler le jeu vidéo en 2030. Ce qui est sûr, c’est qu’il aura une place encore plus incontournable dans notre société, au fur et à mesure de sa diversification, de son intégration dans la culture populaire et bien sûr du vieillissement de la population (eh oui, les gens qui jouaient à la première Nintendo lorsqu’ils avaient 10 ans ont plus de 40 ans aujourd’hui, croyez moi dans quelques décennies on va s’éclater en maison de retraite).
Alors ne restez pas fermés et intéressez vous aux jeux vidéo, vous avez forcément un ordinateur ou un smartphone sur lequel jouer. Surtout ne restez pas bloqués à des jeux bêtement addictifs comme Candy Crush Saga ou Angry birds, il y a tellement plus à découvrir. Si vous avez un smartphone ou une tablette, vous pouvez probablement commencer par Limbo ou Monument Valley ça sera déjà mieux. (d’ailleurs si des gamers ont des idées de bons jeux pas trop cons et accessibles sur smartphone n’hésitez pas à laisser ça dans les commentaires).
Ah et d’ailleurs les gamers qui lisent, c’est aussi à nous d’arrêter notre attitude sectaire bien trop en vogue et de faire découvrir avec bienveillance les jeux vidéo à notre entourage non-joueur.
Et quand je dis faire découvrir, ça ne veut pas dire vous regarder en train de jouer, ça veut dire leur passer la manette.