MaJ du 21/03/17 : L’article original « Ce que Jacquie et Michel aimeraient bien vous cacher » a été modifié pour inclure les réactions de la direction de Jacquie & Michel.

Sexe, pouvoir et argent : en s’articulant autour de ces trois thématiques, le fait divers, avorton du journalisme, ne cesse de nous intéresser. Du coup, de nombreux journaux en font leur Une, au plus grand plaisir des utilisateurs des réseaux sociaux.

Mi-mars, c’est sur Twitter que je tombe sur la Une de Oise Hebdo. Le périodique, qui a déjà fait le buzz en 2011 grâce à ses premières pages tapageuses, tient une perle.

D’habitude, les gros titres annoncent le décès violent d’une célébrité locale ou le témoignage du dernier survivant d’un accident mortel. Cette fois, c’est l’image qui saute aux yeux : en plein milieu d’un parc, une femme à genoux est devant un homme, la main sur son entrejambe, le tout filmé en gros plan par un cameraman et sous le regard attentif d’un passant.

Une mise en page qui n’est pas de très bon goût, mais bon, comme le souligne @AlDeTerre : si pour Marine « on peut », et pour Manu « il faut », alors, ça passe. Mais soudain,  j’ai comme un sentiment de déjà-vu…

« Merci qui ? »

Ni une, ni deux, je demande à Google si l’équipe de tournage a été identifiée. Aucun résultat de Google News n’est satisfaisant. C’est à peine si France Info ou quelques sites s’étonnent d’une Une aussi démonstrative, le premier allant jusqu’à demander des comptes au fondateur de Oise Hebdo. Il suffit pourtant de scroller un peu pour se rendre compte que Compiègne est un spot du X au grand air. En 2011 déjà, une vidéo mettait en scène « une professeur de maths » du lycée Pierre-d’Ailly. Même scénario en 2013, avec une « pionne » du lycée Mireille-Grenet, le deuxième établissement de la ville, qui était clairement filmé. De quoi attirer à l’époque l’attention des lycéens, puis des médias et créer le buzz avec un bon petit million de vues. Pas de quoi pour autant réjouir le producteur des vidéos, identifié alors comme le désormais célèbre site… Jacquie et Michel

Thierry Bonnard, directeur de la communication de J&M, se défend en expliquant que les tournages ne sont pas de la responsabilité directe du site, mais de celle des producteurs qui vendent ensuite les vidéos « sans que l’on sache où, quand et comment ils tournent. »

Deux ans plus tard, je me demande s’ils n’ont pas remis le couvert. C’est une vidéo assez délirante tournée par le Parisien en 2013, au lycée Mireille-Grenet, qui me donne la réponse : passé les réactions mi-gênées, mi-amusées du personnel de l’établissement et l’élève qui indique « c’est là qu’elle l’a pépom » en montrant du doigt des buissons, on découvre le « réalisateur » de la vidéo qui s’explique.

Une vidéo porno fait scandale dans un lycée de… par leparisien

Stupeur : « Bertrand » porte une veste Lonsdale noire, la même que porte l’homme en train de filmer sur les photos de Oise Hebdo. Cinq clichés, non-censurés, par lesquels l’hebdo dévoile, en pages intérieures,  le « derrière » du tournage. C’est encore sur Twitter, en réponse au tweet originel, qu’elles sont dévoilées, ainsi que le texte décrivant l’événement. C’est en zoomant sur ce texte que mes soupçons sont confirmés. Selon Oise Hebdo, celui qui se faisait appeler Bertrand par Le Parisien, se nomme Olivier Lahcen. Ni lui, ni les deux acteurs n’ont pu s’empêcher de sourire quand le quatrième homme, en rouge et identifié comme « un voyeur », lance un tonitruant « Merci qui ? » à l’équipe de tournage au moment où le journaliste s’approche pour les interroger.

 

« Merci qui ? », un gimmick devenu un slogan censé amener la fameuse réponse : « Merci, Jacquie et Michel ! ». Pourtant, personne ne répond à l’invective et l’équipe nie tourner pour le site aux 9 millions de visiteurs uniques par mois.

Pourquoi autant de précautions ?

Avec une telle audience, le site s’impose comme le numéro 1 français en la matière et comme un véritable phénomène cul-turel. Son nom et son slogan se retrouvent partout, des stades de foot aux télés et radios (Le Grand Journal, Hanouna, Canteloup, Cauet), des titres de l’Equipe aux lancements des Guignols de l’info.

Même Norman se prête au jeu…

Même Joey Starr reprend les codes de J&M – de son petit nom – pour faire la promo d’un album…

Et même François Hollande est confronté à J&M… La photo est trop moche pour la mettre ici mais on comprend mieux que le community manager de J&M se sente pousser des ailes. Aucune allusion ne lui échappe sur Twitter. Il te suffit d’avoir une petite notoriété tv ou web et quelques « k » de followers pour que ce dernier rebondisse sur le moindre de tes tweets parlant de près ou de loin de sexe.

Il y a tellement de matière qu’un site comme Melty pourrait créer une rubrique dédiée aux tweets du site porno. D’ailleurs, c’est quasiment le cas… Pour vous donner une idée, voici son poisson d’avril 2015. Classe : du J&M « tout craché ».

Alors, à Compiègne, qu’est-ce qui gêne tant J&M, d’habitude si enthousiaste ? Le site ne semble pas avoir grand-chose à craindre du personnel des lycées compiégnois ou des autorités locales, qui ont déposé plainte pour exhibition après l’épisode du parc. Comme le disait l’avocate Valérie Piau à Anaïs Chabalier de l’Express en 2013, « la justice ne propose pas énormément de solutions » et prouver une infraction peut s’avérer difficile. Quant aux amendes, le site qui réalise près de 10 millions d’euros de CA annuel peut voir venir.

Perso, j’attribuerai l’inhabituelle pudeur de J&M à une tentative de préserver la légende sur laquelle le site s’est bâti : les vidéos ne mettent en avant que des amateurs qui contactent le site et osent dévoiler leur ville et leur profession. De quoi laisser penser qu’avec un peu de chance, on pourrait bien croiser un jour cette personne aussi ouverte et décomplexée…

Sur Twitter, l’image de Une du compte J&M montre bien cette philosophie. Souvent, l’équipe annonce que c’est la fille qui a fait le premier pas en contactant le site. Cela pour faire une expérience ; franchir le pas après avoir souvent utilisé les services du site ; se venger d’un petit-ami ou encore car c’est son patron / frère / fils ! / ou sa tante… qui l’a inscrite. Bref, le site – à ce qu’on m’a dit bien sûr – mise sur le réalisme.

Là encore, le directeur de la communication de J&M m’a expliqué que jamais le site n’a revendiqué un quelconque réalisme dans ses vidéos

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Mais les épisodes des lycées de Compiègne montrent qu’il y a quelques entorses à la règle : dans les deux cas, l’actrice était plus une professionnelle du X qu’une pionne ou une prof. « Bertrand » le reconnaît lui-même, dans le scénario, la dernière vidéo se déroulait à Paris et non à Compiègne.

Et ce n’est pas l’unique cas où J&M se fait gauler : la presse s’amuse souvent à relayer ces histoires de ville ou village à la recherche d’habitants fictifs ayant tourné une scène. L’exemple avec ce couple qui tient une boutique de souvenirs à Honfleur ou cette éleveuse de poulet Loué qui a défrayé la chronique l’an dernier, avant de reconnaître être une actrice.

Par pure conscience professionnelle, je suis allé vérifier : ces deux vidéos sont bien hébergées sur le site.

Localisation approximative et réalité scénarisée, une nécessité selon Thierry Bonnard, qui s’explique par le succès de J&M. D’obscur réseau libertin, le site est devenu un business florissant en jouant la carte de l’authenticité et de la proximité.

Une trentaine de sites, des goodies, des soirées en boîte et un « Netflix » du X

Le site aurait été créé en 1999 par un professeur des écoles libertin, le fameux Michel. « Aurait », car la « belle » histoire régulièrement mise en avant par les membres de l’équipe s’avère très difficile à vérifier. Par-ci, par-là, on peut lire que sa femme – Jacquie ? – et son fils travaillent désormais avec lui, au même titre que la dizaine de CDI et la cinquantaine de « pigistes » qui font tourner la boîte aujourd’hui.

Pour Philippe Azoury, qui a décrypté le phénomène J&M dans les colonnes des Inrocks l’été dernier, « personne ne les a jamais vus en photo, ni ne sait vraiment s’ils existent. (…). Peut-être sont-ils juste un nom de marque, une adresse IP, une idée rassurante que l’on se fait d’un couple coquin, toujours accueillant ». Jacquie et Michel, des quinquas un peu chelou mais finalement bien sympas, qui vous parrainent pour entrer dans un cercle intime et privilégié : la communauté libertine online, « les internautes de J&M ». Tout est fait par et pour eux.

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C’est en tout cas l’esprit du site en 1999. Un repère d’initiés, un lieu de la contre-culture libertine qui permet à ses membres de poster leurs photos et une « annonce », dans l’espoir de recevoir des retours positifs et pourquoi pas, une demande de rencontre. Codé en HTML 1 et ayant conservé la même identité graphique des origines, J&M garde son image underground. Petit à petit, en plus des libertins qui postent photos et annonces, s’y retrouvent aussi de nombreuses personnes cherchant des plans cul, à la manière de Tinder aujourd’hui, sans oublier tous ceux qui viennent juste pour regarder.

Le site prend une autre dimension en 2007, avec le développement de l’ADSL et de la vidéo en ligne. Sur J&M TV,  il y a encore peu de productions maisons. Ce sont les contributions d’utilisateurs qui alimentent la plateforme, avec tout ce que cela implique de vidéos pixelisées sans grande dimension artistique. C’est glauque, ambiance « Bois-de-Boulogne » comme l’indique un article fort peu élogieux du Tag Parfait, l’un des médias de référence sur la thématique du sexe. Le titre est évocateur :  » Jacquie et Michel point net, j’y ai vu ta maman« . Le site tourne grâce à la communauté libertine et ses membres qui acceptent d’être filmés. On est loin des canons de beauté et d’âge de l’industrie pro.

Fin 2000′ début 2010′, le site comprend qu’il a plus intérêt à casser son image et surfer sur la vague des « tubes » de streaming, en pleine explosion. En gardant le même esprit « girl nextdoor », il rehausse le niveau de ses vidéos, tant en moyens techniques qu’humains… Des acteurs récurrents remplacent de plus en plus les « internautes », tandis que les actrices deviennent de plus en plus jeunes et jolies. Un moyen de faire grandir sa communauté et ses revenus.

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Dès 2007, le site fait de l’argent en proposant aux visiteurs de voir la vidéo intégrale au lieu d’un simple extrait. Mais ce n’est pas un paiement ! C’est un don – façon de renforcer l’aspect communautaire – fait via Allopass. Les « internautes de J&M », à la fois spectateurs et acteurs, sont encore mis à contribution lorsqu’il s’agit de prêter main-forte à l’équipe sur un tournage… contre une nouvelle fois un « don » de quelques centaines d’euros.

Car le site promet, au-dessus de ses vidéos, en MAJUSCULE et en gras, qu’il est possible de chatter avec les actrices, de les rencontrer. Et plus si affinités. Bien sûr, il faut là encore faire chauffer Allopass.

Et quand le site atteint son rythme de croisière, avec au minimum une nouvelle vidéo par jour, il met en place un système d’abonnement pour un accès illimité. Une formule qui est la norme dans le secteur du porno online, et après une petite étude de marché – ne me jugez pas -, j’ai constaté que les prix de J&M étaient dans la moyenne haute du secteur.

Aujourd’hui, J&M est une galaxie d’une trentaine de sites, des webtv aux sites de rencontres, en passant par les webcams et un tout nouveau projet de plateforme streaming, PornEverest, présenté comme le « Netflix » du X.

Un tiers des actrices sont des amatrices

Tel un vrai groupe média, les contenus sont labellisés (grâce notamment à l’empreinte sonore « Merci qui ? » ) et sont déclinés sur les différents supports de J&M (Desinhibition.com, Pornovoisine.com, le site qui joue à fond la fameuse carte de la proximité) tout en étant plus difficilement piratables.

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La marque, déposée dès 2004, fait aussi dans les produits dérivés via un e-store, l’organisation de soirées chaudes en boîte de nuit ou encore dans la presse écrite avec son magazine papier.

Un vrai petit business qui où seulement un tiers des vidéos mettent en scène de vrais amateurs qui ont contacté le site. Le reste est le fait d’actrices pros ou semi-pros, payées 600 euros les deux vidéos et qui vont régulièrement tourner pour la concurrence et autres sites qui cherchent à copier la recette J&M : du bon gros storytelling, de son nom au contenu de ses vidéos, en passant par son aspect communautaire.

Pour Thierry Bonnard, les deux tiers d’actrices en question ne sont pas de pros mais des filles qui veulent essayer et pourquoi pas en faire un métier, mais qui n’auraient jamais tourné avant. Des aspirantes professionnelles en somme, qu’on retrouve néanmoins de vidéo en vidéo, quand elles ne sont pas des guests. Aussi le prix n’est pas fixé par le site mais résulte d’une négociation entre actrices et producteurs.

J&M est une réussite marketing et cela pour deux raisons : tout d’abord, le pouvoir du sexe et tout ce qu’il permet en matière de fidélisation. Ensuite, le fait d’avoir réussi à créer puis préserver le sentiment d’appartenir à une même communauté, celle des internautes de J&M, que chaque actrice dans chaque vidéo – encore une fois, on me l’a dit – n’oublie pas d’interpeller.

Sur J&M, tout le monde se tutoie et tutoie l’internaute. On est entre potes. Et même si cette communauté regroupe près de 10 millions de personnes, la nature du porno en ligne et l’aspect underground du site ont permis de conserver sa cohésion. Le « Merci qui ? » fait alors office de signe de ralliement, de clin d’œil coquin et un peu lourd échangé entre inconnus réunis par l’amour du fap online.

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Reste que la gentille communauté s’est transformée en un business bien juteux. Un business qui revendique son côté amateur à la française, loin des standards des grosses productions US, dont il se rapproche pourtant de plus en plus.

Le sympa « Merci qui ? », de gimmick amusant, redevient alors ce qu’il est vraiment : un slogan commercial, martelé par des filles qui, comme l’écrit Philippe Azoury dans les Inrocks : « se donnent comme des folles mais qui, dès qu’on leur demande “Merci qui ?”, se redressent prestement et se transforment en speakerines, en femmes-sandwichs. »

Un slogan qui, au moment où vous êtes plus mou du bulbe que du gland, s’imprime dans votre subconscient. Alors pour conclure, je ne pourrais pas faire mieux que Philippe Azoury : « Merci qui ? Merci mon cul. »

Journaliste, diplômé en économie et en histoire, j'ai fait mes classes au service sport du quotidien La Marseillaise avant de tomber dans le Web et l'actualité du numérique. Avec Snackable, je vais essayer de vous faire partager ce qui me passionne ou m'interpelle.

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