Les avions Rafales de Dassault pourraient enfin trouver un acheteur ! Du moins c’est ce qu’on entend régulièrement dans la presse depuis plus d’une décennie.

Mise à jour du 13 février 2015 : Il l'a fait ! Du moins sur le papier

Un constat s’impose : l’avion français ne s’est encore jamais vendu à l’étranger, malgré l’intérêt de la Corée du Sud en 2002, du Maroc en 2007, de la Suisse en 2011 ou encore du Brésil en 2013 et la liste est longue. Depuis 2012, c’est l’Inde qui est le mieux placé pour devenir le premier acquéreur étranger du Rafale.

Le pays avait lancé en 2009 un appel d’offre auquel le Rafale a répondu, ainsi que le Typhoon d’Eurofighter, les F-16 et F-18 américains, le Saab Gripen suédois ou encore le MiG-35 russe. Il y a deux ans, seul le Rafale était encore en course et dès lors, il ne reste plus à l’Inde que d’acter l’achat de 126 appareils, pour près de 12 milliards d’euros. Régulièrement, les journaux indiquent que cette signature est proche.

L’air indien, une mélodie bien connue

En début de semaine, c’est la visite du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian en Inde qui a remis le sujet sur le devant de la scène. Il y a six mois, c’était Laurent Fabius, ministre des Affaires Etrangères, qui s’y collait. Dans les deux cas, ils font la même promesse d’un dénouement rapide.

Comme l’arrivée de la neige en hiver, la vente potentielle du Rafale est un classique de la presse française : il y a deux semaines, on s’interrogeait sur la possibilité que le Rafale « atterrisse » un jour en Égypte, pour reprendre le titre le plus en vogue. Il y a deux mois, c’était la vente de 36 appareils au Qatar qui était évoquée. Dans tous les cas, les articles sur le sujet rappellent ceux publiés depuis plus de dix ans. La signature est quasiment certaine, l’avion français étant le meilleur sur le papier et le favori des forces armées locales. Toutefois, les négociations sont complexes et quelques petits détails restent encore à régler…

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Le Rafale, l’avion le plus polyvalent au monde, pourtant, personne n’en veut…

Ils concernent par exemple les transferts de technologies ou la production des avions sur place : ce fût un point de blocage au Brésil, c’est aujourd’hui au cœur du dossier indien, puisque seulement 18 des 126 appareils commandés devraient être montés en France. L’Inde, via le groupe public Hindustan Aeronautics Limited (HAL), « possédera la technologie complète et la licence pour fabriquer des appareils supplémentaires qui, en outre, pourraient être exportés« , a souligné Jean-Yves Le Drian.

Exportés ? Si vous trouvez ça bizarre, cliquez ici

Derrière ces éléments de négociation « officiels » comme le transfert de technologies ou encore la prise en charge des risques, s’en cachent d’autres, moins avouables.

Les rétro-commissions, la face cachée des négociations…

Ces conditions en apparence défavorables témoignent des contraintes qui pèsent sur le dossier Rafale. Plus il se vend mal, plus on est tenté de faire des concessions et de casser les prix, en espérant déclencher un effet « boule de neige ».

Des concessions de plus en plus grandes pour vendre le Rafale

En effet, le Rafale a déjà coûté la bagatelle de 43 milliards d’euros, en grande partie financés par le pays puisque notre armée en est l’unique acheteur. Jusqu’en 2019, Dassault devrait produire 66 Rafales, dont seulement 26 pour l’armée française. Mais si les 40 autres ne se vendent pas, c’est la France qui payera l’addition. Elle s’élève à environ 4 milliards d’euros.

Devant ces investissements massifs et la nécessité d’entretenir l’un des fleurons du savoir-faire technologique français, le fait de vendre coûte que coûte, et cela malgré quelques concessions à notre désavantage, peut se comprendre.

D’autant plus que le temps presse, avec l’arrivée de concurrents comme les F-22 et  F-35 américains et d’autres avions de nouvelle génération. Mais le problème, c’est qu’il n’y a aucune explication logique à ces échecs successifs, hormis une, sur laquelle je reviendrais plus tard.

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Avec un armement capable de faire face à toutes les situations, le Rafale est l’un des rois du ciel

En effet, la France dispose avec le Rafale d’un des meilleurs avions au monde sur le plan technologique et stratégique, ainsi que de sérieux arguments commerciaux.

L’excellence n’est pas toujours récompensée

Sans trop rentrer dans les détails, le Rafale est un avion multi-rôles : il peut intercepter ou escorter d’autres avions, effectuer des bombardements au sol, y compris des frappes nucléaires, faire de la reconnaissance, et opérer à la fois depuis une base aérienne ou un porte-avion. C’est l’un des seuls au monde à faire tout ça.

En achetant des Rafales, une armée aérienne n’a pas besoin d’entretenir une flotte d’avions spécialisés. De plus, l’armée française multiplie les opérations en théâtres extérieurs (Afghanistan, Libye, Mali, Irak), soit autant d’occasions de prouver l’efficacité de nos appareils. En comparaison, le F-22 vient à peine de connaître son baptême du feu et le F-35 n’est encore qu’un projet à problèmes.

Bref, que ce soit en matière de qualité et d’usage par rapport au prix, le Rafale « survole » la concurrence.

Le Rafale, au-dessus de ses concurrents ?

Alors comment expliquer que ses concurrents trouvent preneurs, même le F-35 ?

Le problème de la France, c’est son manque d’agressivité commerciale, politique et culturelle.

Le problème n’est pas le Rafale

Au Maroc, alors que la France était logiquement favorite, les Américains ont profité de notre molesse pour proposer des F-16 à prix cassé (le F-16 est déjà rentabilisé, ils peuvent se le permettre) et un important programme d’alphabétisation des campagnes… Ils n’hésitent pas à sortir le chéquier pour alimenter leur lobbying. C’est aussi ça le « soft power ».

Face aux pressions, la France manque souvent de répondant. Le cas du porte-hélicoptère Mistral « Vladivostok », non livré à la Russie, en est un exemple.

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Le F-15 américain nous a mis un beau « scud » en Corée du Sud

Nos « alliés » n’ont souvent aucun scrupule à torpiller le dossier français quand celui-ci est favori. En Corée du Sud, quand le Rafale remportait l’adhésion des autorités face au F-15, George W. Bush a simplement rappelé à Séoul l’importance des forces US dans le dispositif de dissuasion face à la Corée du Nord…

Les États-Unis ont noué des liens très forts avec de nombreux pays depuis un demi-siècle : ils ont ainsi entraîné dans la conception du F-35 de nombreux pays alliés, comme le Royaume-Uni, le Canada ou encore Israël, soit autant de débouchés, malgré les défauts évidents du projet.

Le Rafale pourrait de son côté se baser sur le succès des Mirages de Dassault, qui se sont vendus à plus de 2000 exemplaires dans le monde. Mais la France n’arrive pas à fidéliser sa clientèle. Manque de lobbying, d’investissements annexes et de « vice » donc, mais aussi manque flagrant de discernement politique.

On ne reviendra pas sur le flop marocain, mais on peut mettre en avant leurs pendants suisse et brésilien, où le Gripen suèdois, pourtant largement inférieur, a finalement été sélectionné. En Suisse, le Rafale tenait la corde jusqu’à ce que Nicolas Sarkozy attaque le pays sur son statut de paradis fiscal. Idem au Brésil, jusqu’à ce que la France ne soutienne pas Brasilia sur le dossier du nucléaire iranien. Ces « inélégances » n’expliquent pas tout, mais jouent tout de même contre Dassault.

Face aux problèmes rencontrés, l’avionneur et les ministères concernés ont mis en place un organe de collaboration qui permet dorénavant de parler d’une seule voix lorsqu’il s’agit de vendre le Rafale et de prendre en considération à la fois l’aspect commercial et politique d’une négociation.

Attendons de voir si cela se concrétisera enfin par un atterrissage réussi en Inde ou au Qatar.

Crédit photo : Flickr / Wikimédia, Brian Mullender, Ricardo J. Reyes, Dassault, USAF

Journaliste, diplômé en économie et en histoire, j'ai fait mes classes au service sport du quotidien La Marseillaise avant de tomber dans le Web et l'actualité du numérique. Avec Snackable, je vais essayer de vous faire partager ce qui me passionne ou m'interpelle.

3 COMMENTS

  1. Il y a clairement une volonté dans cet article d’avoir une approche équilibrée, pour échapper au « Rafale-bashing » parfois pratiqué tout en évitant de tomber dans un « publi-reportage ». C’est louable.
    On notera toutefois quelques petits détails qui méritent précision ou correction.

    1/Sur la production sous-licence et le transfert de technologie en Inde : il s’agissait d’une des conditions de l’appel d’offres, tous les candidats devaient s’y plier, ce n’était pas un choix délibéré de la partie française. Cependant, on peut imaginer que les américains étaient peut-être frileux sur le sujet, ce qui pourrait être une des causes de leur échec sur cet appel d’offres.

    2/ sur les « 43 milliards d’euros » qu’à déjà coûté le Rafale : il faut faire très attention en manipulant ce chiffre! Car il ne correspond en aucun cas à l’argent déjà dépensé sur le programme : il correspond à une estimation (datant de 2012 il me semble) du coût du programme Rafale, incluant le développement et l’acquisition de 286 appareils. Une centaine d’avions sont en service aujourd’hui, 180 ont réellement été commandés et le dernier livre blanc a fixé le format de l’armée de l’air à 225 avions de combat, ce qui devrait mécaniquement entrainer une baisse de la cible d’acquisition du Rafale de 286 à 225 avions au maximum. Donc, d’une part ce chiffre est une projection et non une valeur constatée, et d’autres parts, cette projection devrait sans doute être revue pour tenir compte de la commande de 60 avions en moins.

    3/ sur « l’entrée en service » du F-22 : cet avion est en service depuis des années! Vous faites probablement allusion à sa première mission en opération extérieure qui a eu lieu il y a quelques semaines en Syrie, mais ce n’est pas la même chose. Plus que ça, l’avion ne risque pas de faire de l’ombre au Rafale à l’export, et pour cause : malgré l’intérêt de plusieurs partenaires, les États-Unis ont toujours refusé d’exporter cet avion de combat, tant et si bien que…. la ligne de production est déjà fermée! Il y a fort à parier que plus aucun F-22 ne sera jamais produit.

    4/ Non, le Rafale n’emporte pas 10 tonnes de plus de charge utile que l’Eurofighter. Cela ressemble à une faute de frappe!

    5/ sur les coûts comparés Eurofighter/Rafale : là aussi, attention aux chiffres manipulés. Il ne s’agit pas de coût unitaire, mais de coût des programmes (développement inclus), ramené au nombre d’avions produits.

    6/ Non, il y a déjà un concurrent du Rafale qui est navalisé, c’est le F/A-18 Super Hornet. Et effectivement, il y aura plus tard le F-35.

    ça peut ressembler à des détails, mais dans ce très délicat sujet des avions de combat, la précision me semble une qualité nécessaire.

    Comme vous dites, croisons les doigts pour qu’en Inde et au Qatar, l’histoire ne se répète pas.

  2. Mobius, merci pour cette lecture attentive et vos précisions !

    En effet, on constate que les Etats-Unis disposent de plus de liberté, ce qui est de moins en moins le cas de la France, toujours à la recherche d’un premier succès à l’export pour le Rafale.

    Concernant les 43,5 milliards, c’est un chiffre avancé en 2011 par le sénat. Dans le cadre du projet de loi de finances 2014, le coût du programme a été évalué à 45,9 milliards d’euros. La décision de limiter les commandes françaises à 225 unités date quant à elle de 2013, mais ne rentre pas selon moi dans le calcul.

    Pour la comparaison des prix Rafale / Eurofighter, il s’agit d’estimations qui prennent en compte le coût total du projet rapporté au nombre d’avions produits. Cela reste un bon indicateur.

    Concernant, les 10t, il s’agit en effet d’une erreur de ma part. Selon les très nombreuses versions existantes, la différence tourne plutôt autour de 3 à 4t, toujours à l’avantage du Rafale. De même pour le F-22 Raptor, qui vient en effet de connaître son baptême du feu.

    Enfin, il me semble que le F-18 a été conçu pour être employé depuis un porte-avions, tandis que le Rafale peut le faire sans aménagement particulier. C’est un argument de plus en faveur de la polyvalence du chasseur français.

  3. Merci à vous de l’attention portée à mes remarques.

    En effet question charge utile, de nombreux chasseurs se rapprochent, mais dans le monde occidental aucun ne surpasse le Rafale, surtout si on tient compte du petit gabarit du Rafale. Côté russe, le Su-34 fait mieux… mais l’appareil pèse 20 tonnes à vide!

    Concernant la comparaison avec le F-18, il faut quand même noter que les Rafale de l’aéronavale sont une version spécifique : renforcement structuraux, train principal lourdement modifié et crosse d’appontage. Un Rafale M (marine) pèse environ 500-700kg de plus qu’un Rafale C (armée de l’air, monoplace). Le génie de la conception du Rafale repose sur la très grande communalité atteinte entre les variantes marine et « air ».
    Pour l’anecdote, historiquement le F-18 avait été conçu pour l’armée de l’air américaine (voir prototype YF-17). Il fut finalement rejeté par l’USAF… mais adopté par l’US Navy dans le cadre d’un autre programme qui donna naissance au F-18 tel qu’on le connait aujourd’hui.
    En bref, une formule aérodynamique donnée ne contraint pas forcément un avion de chasse à l’emploi, ou non, sur porte-avions, mais par contre les contraintes propres à l’appontage et au catapultage requièrent quoiqu’il arrive des ajustements.

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