Attendue depuis des semaines, l’offensive visant à reprendre la ville de Mossoul aux djihadistes de l’État islamique (EI) a été lancée ce lundi 17 octobre. Retour sur les enjeux et les risques de cette bataille décisive.

Des dizaines de milliers d’Irakiens, de Kurdes, de Turcs et d’Occidentaux s’apprêtent à lutter pendant de nombreuses semaines pour libérer la ville et son 1,5 million d’habitants.

L’opération, nommée « Fatah » (Conquête) va permettre de juger de la solidité de cette coalition, de porter un coup énorme aux djihadistes mais risque aussi de tourner à la pire catastrophe humanitaire de l’année.

Pour te rafraichir la mémoire, tu peux aussi lire nos articles l’État islamique, c’est quoi ? et [F.A.Q.] Pourquoi Daesh n’a pas déjà été éliminé ?

Le plan de batailleLa perte d'un symbole pour l'État islamiqueLes dangers qui menacent la coalitionLa crainte d'une catastrophe humanitaireL'après, le véritable enjeu de la bataille de Mossoul
Mossoul est la dernière des grandes villes à reconquérir en Irak après Tikrit, Ramadi et Falloujah, première ville tombée aux mains des djihadistes en janvier 2014 et reprise cet été.

Encercler, libérer, nettoyer et gouverner à nouveau Mossoul

Contrôle du terrain en Irak le 25 août 2016 - Carte de l'ISW
Contrôle du terrain en Irak le 25 août 2016 – Carte de l’ISW

La coalition encercle Mossoul en prenant les villages qui la bordent au Sud, à l’Est et au Nord. Seul l’Ouest, en direction de la Syrie, est pour l’instant laissé libre afin d’offrir une porte de sortie aux djihadistes et éviter une résistance désespérée. Plutôt les affronter dans le désert qu’en ville.

Comme à Falloujah, les forces chiites seront majoritairement impliquées. Des dizaines de milliers de militaires, policiers, membres des forces spéciales et miliciens contrôlés par l’Iran, grand allié chiite de Bagdad, vont attaquer au Sud.

Je vous invite à consulter cette carte interactive du Monde
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L’aviation occidentale et plusieurs milliers de soldats américains, principalement chargés de l’encadrement, mais aussi des artilleurs français les soutiennent.

À l’Est, 4000 peshmergas Kurdes profiteront aussi de l’aide des forces spéciales occidentales, tandis qu’au Nord, des miliciens kurdes et des sunnites formés par la Turquie complètent le dispositif. Les tribus sunnites participent à l’offensive, certaines du côté de Bagdad, d’autres du côté kurde ou encore turc.

Il faudra du temps pour nettoyer la ville des pièges installés par Daesh et des éventuels djihadistes qui s’y seraient cachés. Restera ensuite à renouer avec la population sunnite et à remettre une autorité légitime en ville, ce qui pourrait prendre des années.

La fin de Daesh ?
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Comme beaucoup, j’ai découvert l’EI lorsqu’il prend Mossoul en juin 2014. Les images de l’armée et des fonctionnaires irakiens fuyant la ville alimentent longtemps la propagande djihadiste. Stupéfaction totale en Occident : trois ans après le départ des Américains, le pays replonge dans la guerre et le terrorisme. Personne n’en veut, mais une nouvelle intervention est inévitable.

Mossoul, berceau du califat rêvé par Daesh

Une partie de la population de Mossoul, ville majoritairement sunnite, fête l’arrivée de Daesh comme une libération. Les armes et les réserves monétaires laissées sur place renforcent considérablement les djihadistes. Ils ne tardent pas à profiter de la situation pour commencer l’épuration ethnique de la région, à commencer par la minorité yézidi.

Le matériel militaire trouvé à Mossoul à plus renforcé la communication de Daesh que sa réelle puissance militaire
Le matériel trouvé à Mossoul a plus renforcé l’image de Daesh que sa réelle puissance militaire

Enfin, c’est depuis une mosquée de Mossoul que le chef de l’organisation État islamique, Abou Bakr al-Baghdadi, proclame le califat. Profitant des ressources trouvées sur place, celles collectées via l’impôt ou la vente de pétrole ou celles encore envoyées par l’Etat irakien (Bagdad payait toujours les fonctionnaires restés sur place…), Daesh met en place depuis Mossoul les éléments d’un proto-état.

La perte de Mossoul portera un coup énorme aux revenus, à l’image et l’influence de l’organisation terroriste et mettra fin à sa présence territoriale en Irak. Mais malgré le rapport de force inégal, la bataille risque d’être difficile et une victoire ne signifiera pas la fin de l’idéologie djihadiste dans la région.

Abou Bakr al-Baghdadi proclame la renaissance du califat depuis Mossoul
Abou Bakr al-Baghdadi proclame la renaissance du califat depuis Mossoul
Histoire croisée de Mossoul et Daesh
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À première vue, le déséquilibre tant humain que matériel fait pencher la balance en faveur de la coalition. Toutefois, les 4500 à 6000 djihadistes qui devraient prendre part à la défense de Mossoul ont eu le temps de se préparer. Ces hommes, dont certains sont aguerris aux combats en Irak ou en Tchétchénie, adoptent des tactiques de guérillas. Si la bataille venait à durer, la coalition risque d’en faire des martyrs, à la légende digne des légionnaires de Camerone.

Une conquête longue et une coalition désunie

Pas de quoi remette en cause la victoire finale de la coalition, mais suffisant pour la retarder. Barack Obama qui l’a promise avant la fin de son mandat. En comparaison, la reprise de Falloujah, bien plus petite, a pris un mois.

La coalition doit faire face aux attaques de snipers et de voitures piégées. Une fois un village récupéré, il faut s’assurer que des djihadistes ne soient pas cachés et que des tunnels par lesquels ils pourraient surgir ou des mines ne menacent la sécurité future des troupes et des habitants.

La situation va empirer à Mossoul avec ses rues étroites, les barrières et tunnels mis en place par les djihadistes, et la difficulté de bombarder de peur de causer des pertes civiles et de créer de nouveaux obstacles pour la coalition. Il faudra être prudent : chaque maison est susceptible d’accueillir des civils, des djihadistes ou des pièges.

On redoute aussi la fuite de djihadistes. Comment les distinguer des réfugiés ? Comment les intercepter avant la Syrie ou pire, l’Europe pour ceux qui voudraient y commettre un attentat ? Que faire des prisonniers ? Pas question de créer un nouvel Abu Ghraib, où les Américains avaient enfermé ensemble les djihadistes qui formèrent ensuite Daesh. Mais le véritable ennemi est à l’intérieur de la coalition : typique du conflit en Syrie et en Irak, cette dernière est composée d’alliés de circonstance, aux objectifs parfois opposés.

Dans une interview à Libération, Loulouwa al-Rachid du Centre de recherches internationales (CERI) indiquait : « Le partage du butin et des rôles de chacun au lendemain du départ de l’EI peut donner lieu à une « guerre de tous contre tous » entre milices chiites, forces proturques, Kurdes, etc. Car derrière les rivalités communautaristes, il y a les convoitises des terres, du pétrole et des ressources en eau. »

Clique ici pour découvrir les membres de la coalition et leurs objectifs
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Le sort du 1,5 million d’habitants encore présents dans la deuxième ville du pays occupe tous les esprits. Sans défense, ils courent tous les dangers, à commencer par celui d’être utilisés comme boucliers humains par les djihadistes et d’être frappés par erreur par des tirs de la coalition. Plus la bataille va durer, plus les risques seront grands, y compris ceux inhérents à l’impossibilité d’avoir accès aux soins, à l’eau courante ou aux biens de première nécessité.

Les habitants de Mossoul pris entre deux feux, la guerre et la crise humanitaire

Irak : des milliers de civils fuient Mossoul où l’offensive pour la reconquête a commencé

Un autre danger est apparu aux premières heures de l’offensive : selon des éléments fournis par Anne-Sophie Le Mauff, envoyée spéciale de la chaîne d’actualité France 24 à Bagdad, des civils, sans doute menés par des agents irakiens infiltrés dans Mossoul, ont commencé à s’attaquer aux principaux postes de commandement et de défense djihadistes.

Ce mouvement de résistance est connu depuis plusieurs mois par la presse qui rapporte des tags représentant la lettre M pour muqawama, « résistance », sur les façades de Mossoul. La répression de cette révolte par les djihadistes pourrait faire de nombreuses victimes, sans parler d’éventuels conflits entre civils pro et anti-daesh.

Selon Franck Genauzeau, grand reporter de France 2, une vingtaine de civils ont déjà été exécutés dans les premières heures de l’offensive pour avoir diffusé des photos des installations défensives mises en place par les djihadistes. Daesh a même coupé les connexions Internet, y compris mobile.

Mossoul : la préparation des soldats de l’État islamique

Mais au-delà des dangers de la bataille, c’est l’après qui inquiète.
Vers la plus grande catastrophe humanitaire de l'année ?

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La chute de Mossoul ne signifie pas la fin de l’EI en Irak, et encore moins celle de l’idéologie djihadiste. Al-Qaïda avait déjà été « éliminé » du pays à la fin des années 2000. Ça ne l’a pas empêché de réapparaître et de muter en ce qu’on connait aujourd’hui comme l’EI.

Pour trouver la paix, l’Irak doit sortir du sectarisme et du jeu géopolitique

Daesh s’est nourri du ressentiment que faisait naître le pouvoir chiite envers la population sunnite. Bagdad doit éviter de reproduire les erreurs du passé en donnant plus de pouvoir aux communautés locales. Or pour l’instant, rien n’indique un changement de mentalité.

« Le gouvernement irakien n’a pas de plan pour le jour d’après, celui où Mossoul sera repris. Il ne sait pas quoi faire, hormis tenter de rétablir un statu quo ante. Il tentera de placer un gouverneur docile et de déléguer ce qu’il peut à des milices tribales et à ceux qui seront là. Au-delà de l’enjeu symbolique énorme de chasser l’EI d’Irak, Mossoul est un fardeau pour Bagdad qui est en quasi-faillite financière » rappelle Loulouwa al-Rachid.

La victoire militaire devra se prolonger par un effort politique de dialogue et de réconciliation entre les différentes communautés, sous la tutelle des principales puissances engagées.

Car le sort de Mossoul questionne l’avenir de l’Irak dans son ensemble. Dans tout le pays les sunnites attendent d’être intégrés au pouvoir et au-delà des aspects communautaires, toute la population attend le retour de l’emploi, de la justice et de l’indépendance du pays vis-à-vis des intérêts étrangers.

Sans quoi la menace djihadiste pourrait resurgir ailleurs. Pour trouver la paix, l’Irak doit sortir du grand jeu géopolitique dans lequel le pays a été plongé par l’intervention américaine en 2003 et retrouver la voie de la démocratie et du développement.

Derrière la guerre, des revendications citoyennes méconnues

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Crédit photo de Une : Victoria Villalobos, CC, Flickr

Journaliste, diplômé en économie et en histoire, j'ai fait mes classes au service sport du quotidien La Marseillaise avant de tomber dans le Web et l'actualité du numérique. Avec Snackable, je vais essayer de vous faire partager ce qui me passionne ou m'interpelle.

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