Et pourquoi ce n'est pas un complot des méchants occidentaux

 

Pour les pressés : cet article en 30 secondes

Jeudi 5 mars dernier, le fameux doodle de Google rendait hommage à Gérard Mercator. Alors non, ce n’est pas l’auteur du livre que tu as acheté en première année d’école de commerce, au cas où, et que tu n’as jamais ouvert.

Ce n’est pas non plus l’inventeur du mercato, comme on peut le voir dans une blague douteuse d’un des innombrables articles commentant chaque jour le doodle de Google. Gérard De Kremer (ce qui signifie marchand en flamand, d’où la latinisation « Mercator ») est né aux Pays-Bas espagnols il y a 503 ans. Vous ne le connaissez sans doute pas mais il a énormément influencé l’image que nous nous faisons de la Terre.

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Géographe, il s’illustre en réalisant une représentation novatrice du globe terrestre sur une surface plane. C’est l’une des grandes difficultés de la cartographie : représenter un globe en 3D sur un planisphère en 2D, tout en conservant la forme des objets représentés (ici les continents), leur surface et aussi les distances qui les séparent.

L’intérêt de la projection de Mercator, c’est qu’elle reproduit très bien les formes des côtes, ce qui est particulièrement apprécié à une époque où se développent de nombreuses routes maritimes entre l’Europe, les Amériques et les Indes. C’est d’ailleurs toujours la projection de Mercator qui est utilisée sur la plupart des cartes actuelles, dont celles de Google Maps et autres. D’où les titres à peine racoleurs de certains médias, comme quoi il inventait le GPS il y a 500 ans…

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Métro et Le Point, don’t fuck with history !

Mercator au service de l’impérialisme occidental ?

Au lieu de revenir sur cet anachronisme et autres approximations, on va simplement remettre en question la façon dont Mercator a influencé notre vision du monde : cette dernière est aussi polémique que trop souvent inconnue d’une partie d’entre nous.

Pour conserver la forme des terres qu’il représente, Mercator étire les intervalles entre deux parallèles à proximité des pôles. Résultat : les terres représentées dans ces intervalles apparaissent plus grandes qu’en réalité, au détriment de celles proches de l’équateur. Le Groenland est alors aussi grand que l’Afrique, quand il est en réalité 15 fois plus petit ! De même, s’il semble plus grand que l’Amérique du Sud, cette dernière est en réalité huit fois plus étendue… Autre exemple parlant avec l’île de Baffin, à l’ouest du Groenland, censée être plus petite que Madagascar !

Vous l’aurez compris, les pays du Sud, plus proches de l’équateur, le parallèle de référence, sont désavantagés. De là à faire de cette projection un outil de domination de l’Occident sur l’Afrique, comme on peut le lire sur certains sites, comme Mediapart, faut pas abuser.

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La cartographie n’échappe pourtant pas aux accusations d’impérialisme occidental, d’eurocentrisme et de complot mondial : la projection de Mercator réduirait sciemment l’importance du Sud, afin que ce qui est imprimé sur les cartes s’imprime dans l’esprit de chacun ; nos dirigeants imposeraient encore aujourd’hui cette vision du monde, afin de l’entretenir dans l’inconscient collectif ; preuves supplémentaires, le nord apparaît toujours en haut et l’Europe au centre de nos cartes ! Haha, vous voyez bien le complot !

Sur Mediapart, même le drapeau de l’ONU, qui utilise pourtant la projection de Fuller, la plus équilibrée, est critiqué : en effet, il prend pour centre le pôle nord. Il n’avantage ni l’Amérique, ni l’Eurasie ou l’Afrique, mais ça reste le nord ! le NORD !

Pourquoi le nord ?

Bon déjà, si l’on prenait pour centre le pôle sud, on n’aurait pas l’air con :

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La Terre sous son plus mauvais profil : pas de réseau, pas de Mcdo, pas d’habitant… L’Antarctique, c’est vraiment le trou du cul du monde

Eh oui, la grande majorité des terres émergées se trouvent dans l’hémisphère Nord. N’en déplaise aux complotistes, mais cela explique pourquoi ce sont les pays du Nord qui profitent le plus de la projection de Mercator… Bien que techniquement, avec Mercator, c’est l’Antarctique qui passe pour être le plus grand des continents (en réalité l’avant-dernier, devant l’Océanie). Alors, Nord, Sud, qui est le plus avantagé ?

Ensuite, mettre le Nord en haut est une très vieille convention, employée bien avant que l’Occident étende sa domination sur le monde. Ptolémée, savant antique dont le travail a inspiré la carte en une de cet article, en avait fait vers l’an 150 une norme de la cartographie naissante. Déjà à Babylone, en 500 ans avant JC, on mettait le Nord en haut. Idem en Chine sous la dynastie Ming.

Quand l'Occident perd le Nord

Quant au fait que l’Europe apparaisse au centre, on est sans doute encore loin d’une explication purement impérialiste. Déjà, il faut garder en tête que si l’Europe est au centre des cartes européennes et bien, c’est parce qu’elles sont européennes ! Chaque pays est libre de se positionner au centre des cartes qu’il produit et je serais surpris de découvrir un complot qui tente de l’en empêcher.

Ensuite, en cartographie, on place le plus important au centre. Or, la majorité des cartographes de l’époque moderne sont Européens. Qui plus est, l’Europe est le centre névralgique du commerce maritime mondial. Dans ce contexte, il semble normal de placer l’Europe (et l’Afrique) au centre. Le fait que l’Europe, via le Portugal, l’Espagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la France, a dominé les océans pendant plusieurs siècles, justifie le fait que ce soit son modèle qui a été majoritairement adopté. Une raison plus pratique qu’impérialiste.

Enfin, la simple logique suffit à expliquer la présence de l’Europe et de l’Afrique au centre de nos cartes : ces dernières doivent représenter deux grands ensembles : l’Amérique d’un côté et l’Eurasie / Afrique / Océanie d’un autre. Vous conviendrez qu’il est plus simple de lire une carte quand les continents qui y sont représentés ne sont pas coupés en deux. Or, seule une représentation où l’Europe et l’Afrique – ou les pays situés sur une ligne Japon / Australie – sont au centre est lisible. Désolé pour nos amis Indiens ou Américains.

Aucune carte n’est parfaite

D’ailleurs, saviez-vous que la Terre était parfois partagée entre un hémisphère continental et un hémisphère maritime ? L’hémisphère continental rassemble 85% des terres émergées et son centre est situé en France ! Boom !

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Le centre de l’hémisphère continental est le département de la Loire-Atlantique, aux antipodes de la Nouvelle-Zélande

Bref, il y a une multitude de représentations possibles et aucune n’est totalement fidèle. Chaque carte sera plus ou moins exacte, selon ce que l’on cherche à mettre en valeur. L’important reste donc d’avoir à l’esprit ces différentes représentations du monde et leur utilité respective.

Vous voulez conserver les formes, car c’est plus pratique pour vous déplacer – ce qui reste la fonction de base d’une carte – ? La projection de Mercator s’impose. Si votre kif c’est les surfaces, vous préférerez la projection de Peters :

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Néanmoins, cette version réalisée par un tiers-mondiste avec la volonté de marquer les esprits occidentaux a tendance à étirer verticalement les pays proches de l’équateur, quand elle comprime ceux proches des pôles. Et en plus, elle est vraiment très moche !

Si vous voulez avoir une vision non-déformée de la Terre et bien… arrêtez de vous emmerder avec une carte, et regardez directement une mappemonde !

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Les déformations de Mercator, de Peters et d’un globe selon l’indicatrice de Tissot

Bon, vous avez été sages et jusqu’au bout de cet article, donc voici un lien vers une application de Google Maps qui vous permet de replacer les pays sur la carte. Puisque c’est la projection de Mercator qui est utilisée, vous pourrez voir les pays grandir en temps réel en les approchant des pôles ou au contraire, prendre leur taille normale en les plaçant sur l’équateur. Très instructif. On voit aussi l’intérêt d’apprendre la géographie avec Mercator et de savoir reconnaître les pays à leur forme : j’ai fait environ une minute en difficulté extrême…

Les vraies preuves de l'impérialisme cartographique
Journaliste, diplômé en économie et en histoire, j'ai fait mes classes au service sport du quotidien La Marseillaise avant de tomber dans le Web et l'actualité du numérique. Avec Snackable, je vais essayer de vous faire partager ce qui me passionne ou m'interpelle.

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