Récemment un court-métrage a pas mal tourné sur les Internets français. Celui-ci montre un monsieur tout le monde qui pendant un trajet en RER est témoin « auditif » d’un viol. Bien que visiblement mal à l’aise, le bougre ne réagit pas, ne tente pas de s’interposer et laisse cette pauvre femme à la merci de son agresseur. Les autres personnes dans le wagon ne réagissent pas non plus.

Ce court-métrage cherche à dénoncer la passivité des témoins qui souvent ne réagissent pas devant une agression, comme le prouvent un grand nombre de faits divers (la vidéo est d’ailleurs inspirée d’une histoire vraie qui était arrivée à une femme dans le métro de Lille).

L’ambition de l’auteur avec ce court-métrage est de faire réagir et c’est réussi. Néanmoins, ce genre de vidéo virale peut envoyer des messages dangereux et présente une image incomplète de la réalité.

En effet, les réactions à la vidéo sont unanimes : les femmes se font violer et tout le monde s’en fout, parce que la société serait devenue si individualiste que chacun préfère mener sa vie et arriver à l’heure plutôt que d’aider l’autre.

Ce genre de réaction est facile. Paradoxalement, les gens aiment à penser que notre monde va de plus en plus mal, que notre société est en décadence, que la France, c’était mieux avant.

« Le monde devient fou !  » disent-ils.

Il s’agit d’une interprétation simpliste. L’absence de réaction des témoins n’est pas due à l’augmentation de l’individualisme, à la décadence de notre société ou encore à la lâcheté ordinaire. Non, elle est due à un phénomène psychologique compris et avéré.

Pourquoi la très grande majorité d’entre vous n’aurait pas réagi non plus

L’effet du témoin est un phénomène psychologique ayant été prouvé à de nombreuses reprises : plus les témoins d’une agression sont nombreux, moins il y a de chances que quelqu’un intervienne. Il y a trois raisons à ce comportement contre-intuitif.

La dilution de la responsabilité : « pourquoi ce serait à moi d’aider ? »

Un phénomène très simple à comprendre : si plusieurs personnes sont témoins d’une agression, chacun va penser que quelqu’un d’autre va agir. Au final, personne ne fait rien, d’autant plus que la responsabilité de non assistance est divisée entre les témoins. Concrètement, si vous êtes 25 à assister à une agression, vous savez que vous n’allez pas être tenu personnellement comme responsable. À l’inverse, si vous êtes tout seul, vous êtes entièrement responsable ce qui peut vous pousser à agir.

L’erreur d’évaluation : « je me trompe, ce n’est pas ce qui se passe »

Ça vous est déjà arrivé de penser voir une bagarre alors qu’en fait, il s’agissait juste de deux potes bourrés qui s’amusaient à se taper gentiment ?

C’est un problème récurrent lorsque l’on est témoin d’une agression, votre cerveau va chercher naturellement toutes les excuses possibles pour justifier votre passivité, au lieu de chercher des preuves justifiant votre intervention. Ainsi le moindre élément qui vous fera douter de la véracité de l’agression vous fera reculer.

Ben oui, de quoi aurez-vous l’air si vous faites le héros en vous jetant dans l’eau pour sauver quelqu’un que vous pensiez être en train de se noyer, alors qu’il a juste une façon un peu agressive de nager le crawl ? Vous aurez l’air d’un con et votre cerveau n’aime pas la perspective de passer pour un con devant d’autres êtres humains.

Eh oui, dans le langage commun, on appelle ça se trouver des excuses.

L’influence sociale, « l’effet mouton »

À force de fréquenter d’autres êtres humains depuis des millénaires, notre cerveau possède quelques automatismes. L’un d’entre eux est l’influence sociale.

Chacun juge les événements en fonction de la réaction des autres personnes confrontées à ces mêmes événements. On préfère très souvent suivre le groupe, même si cela est complètement absurde, comme le montre l’expérience suivante dans laquelle la victime se retourne dans l’ascenseur et regarde le mur juste sous la pression du groupe  :

Face à une agression, chacun va regarder les réactions des autres. Devant la passivité ambiante, chacun va se dire la même chose : « si les autres n’agissent pas, c’est qu’ils ne pensent pas qu’il faille intervenir. Donc, la situation n’est peut-être pas si urgente ou dangereuse que ça et je ne vais pas intervenir ».

Vous êtes comme les autres

Je sais ce que vous pensez à la lecture de tout ça : vous vous dites que la faiblesse psychologique des gens est dingue et vous êtes content d’être plus malin que les autres.

Désolé, il y a de très fortes chances pour que vous soyez comme tout le monde et que vous soyez vous aussi sensibles à ça.

Tout le monde dit que la publicité ne les atteint pas mais qu’elle atteint probablement les autres. Se croire plus malin est naturel.

Donc non, vraiment, arrêtez de penser que vous êtes différents là-dessus. Je ne le suis pas, vous ne l’êtes pas, (sauf si vous êtes infirmier(e) car oui, une expérience a montré que leur habileté à venir en aide aux autres permettait de passer outre l’effet témoin, les compétences jouent donc un rôle dans la réaction).

Par conséquent, si vous êtes le témoin d’une agression, vous n’allez probablement pas réagir vous non plus.

L’effet témoin est général. Bien entendu, chaque situation est différente et de nombreux facteurs vont influencer les décisions (l’agresseur est-il armé? Est-ce que je connais les témoins ? Suis-je pressé ? Quel type de danger ? Quel est mon métier ? etc…)

Il ne s’agit pas d’excuser la passivité et l’inaction

Nous publions cet article car il a été prouvé lors d’une expérience que les personnes conscientes de l’effet témoin sont plus à même d’y résister.

Maintenant que vous savez, n’hésitez pas à l’expliquer aux autres. Si tout le monde connait l’effet témoin, ce genre d’histoire de témoins passifs se raréfiera.

Ensuite ne vous méprenez pas, nous ne justifions en rien l’inaction : la non-assistance à personne en danger est un délit. Cependant faisons l’effort de clarifier les choses.

Ne jugeons pas trop vite les témoins inactifs quand il y a de très fortes chances que nous aurions agi de la même manière.

Enfin n’oublions pas le vrai connard dans cette vidéo : il s’agit du violeur et uniquement de lui. Même s’il a une responsabilité, il serait absurde de placer le témoin passif au même niveau que celui qui agresse sexuellement une personne et c’est là le danger de cette vidéo.

En ne montrant pas le violeur, la vidéo le présente comme une image abstraite. Ne pas lui donner de visage fait peser la responsabilité et l’horreur de l’acte sur le témoin, personne normale dans laquelle nous nous reconnaissons tous, ce qui amplifie le mépris que nous lui portons lorsqu’il n’agit pas.

Soyons conscients de nos faiblesses psychologiques pour pouvoir les surmonter et haïssons le vrai connard.

SOURCE Influence & Manipulation Robert Cialdini
Passionné par la musique, le cinéma, la culture web et tout ce qui est intéressant. J'ai aussi créé le site slyberry.tv qui vous permet de regarder plein de vidéos sans vous casser la tête à chercher ce que vous voulez voir.

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