130 morts et des centaines de blessés. C’est le triste bilan des attentats du vendredi 13 novembre qui ont une nouvelle fois endeuillé la France cette année.

Ils s’ajoutent aux 48 victimes et aux centaines de blessés touchés par deux kamikazes à Beyrouth, la capitale libanaise, le 12 novembre. Et aux 224 personnes décédées début novembre dans l’explosion d’un avion russe en Egypte ; aux 102 disparus (et des centaines de blessés) de l’attaque qui visait une manifestation pacifique à Ankara fin octobre…

La liste est longue et je pourrais égrainer tant de chiffres que vous auriez des crampes à force de scroller. Un seul suffit à comprendre : en 2014, année où Daesh est entré dans la lumière et a proclamé son califat, le nombre annuel de victimes d’actes terroristes a augmenté de 81%, principalement au Moyen-Orient et en Afrique. 2015 devrait être un cru tout aussi sanglant.

Si Daesh n’est pas l’unique organisation terroriste à sévir, elle est la plus agressive. Pas étonnant de trouver autant de pays mobilisés contre elle : USA, Europe, Russie, Turquie, Pays du Golfe, Iran… Pas moins de 60 pays composent la coalition. Alors face à toute cette puissance, pourquoi une organisation pareille est-elle encore debout ? C’est la question à un milliard d’euros, et on va essayer d’y répondre dans cette FAQ.

Lire aussi notre résumé : L’État islamique, c’est quoi ?

Un résumé en trois temps

D’où vient Daesh ?

La version courte : du désert. C’est là que les combattants de « l’État islamique d’Iraq » se sont planqués à la fin des années 2000 quand les Américains étaient en train d’éliminer ce qui était encore une branche locale d’al-Qaïda. Le début de la guerre civile en Syrie leur donne l’occasion de se refaire une santé de l’autre côté de la frontière, en recrutant partout dans le monde ceux qui sont venus se battre contre Bachar et en récupérant le matériel destiné aux rebelles. En 2014, ils sont capables d’attaquer l’Iraq et prennent la ville de Mossoul en juin, date à laquelle ils proclament le califat.

La version longue

Pourquoi provoquent-ils des attentats, tout en sachant qu’il y aura riposte ?

C’est justement pour nous pousser à réagir dans la précipitation. Les terroristes ciblent des sociétés en apparence divisées, en espérant que la peur oblige les gouvernements à cesser leurs frappes, qu’elle pousse les gens les uns contre les autres ou mieux, qu’elle nous entraîne à riposter. Daesh rêve de voir les occidentaux revenir au Moyen-Orient et croit pouvoir soulever tous les musulmans contre eux.

IRAQ-UNREST-KIRKUK
Sans l’appui occidental, l’armée irakienne n’a jamais semblé capable de résister à Daesh, comme à Mossoul l’été dernier.

En quoi ça va les aider ?

Ils jouent la carte du choc des civilisations. C’est une secte qui s’appuie sur l’islam radical et veut convaincre les musulmans sunnites de rejoindre la lutte contre les chiites et l’occident. En proclamant le califat, ils tentent de séduire les nostalgiques de l’âge d’or musulman : attaquer le califat peut décider ceux qui vivent en occident sans se sentir intégrés et ceux qui rejettent simplement l’impérialisme occidental à rejoindre la lutte. Enfin ça c’est sur le papier. Dans la pratique, je pense que leurs ambitions sont loin d’être religieuses et servent plutôt des intérêts privés. Reste à découvrir lesquels.

S’ils sont dangereux, pourquoi ne pas les avoir éliminés avant ?

Car personne n’en avait vraiment les moyens ni l’envie.

  • Obama a été élu pour terminer les guerres d’Afghanistan et d’Iraq, pas pour y retourner. L’armée britannique est aux fraises après dix ans de guerre et incapable d’intervenir seule. La France est déjà en Afrique et la rigueur économique complique le déblocage des moyens supplémentaires. Et puis surtout les occidentaux ont longtemps considéré que Bachar était l’ennemi number one, jusqu’à ce que Daesh commence à tuer des otages et des civils dans des attentats.
Obama_cry_Flickr_CC
Obama a toujours temporisé dans le dossier syrien, se contentant de fixer des « lignes rouges » sans conséquences pour ceux qui les franchissaient.
  • Ensuite, il y a trop d’intérêts contradictoires : les alliés de l’occident, la Turquie et l’Arabie Saoudite, sans oublier Israël, détestent Bachar et l’Iran. Détruire Daesh, c’est donner l’avantage au dictateur et aux chiites. Pour l’Iran et la Russie, la logique est différente : plus Daesh est menaçant, plus les occidentaux ont besoin d’eux et de Bachar pour régler le problème et sont prêts à faire des concessions : l’Ukraine, les embargos contre les deux pays, le nucléaire iranien, la survie du régime de Bachar…
  • Enfin, certains pays ont des liens ambigus avec Daesh. Erdogan, le président turc, est bien content d’avoir Daesh à sa frontière qui lutte contre les Kurdes et leur projet d’indépendance. Du côté de l’Arabie Saoudite et du Qatar, certains « riches donateurs » n’hésitent pas à financer une organisation qui prône un islam proche du wahhabisme, le courant majoritaire de la péninsule arabique (mains coupées, droits des femmes bafoués, monuments dynamités, Daesh n’a rien inventé). Les Pays du Golfe sont d’ailleurs plus concentrés sur la guerre civile au Yémen que sur Daesh.
Il se passe quoi au Yémen ?

Après ces attentats, pourquoi est-ce qu’on ne recouvre pas simplement Daesh sous un tapis de bombe ?

247088_dassault_-rafale_-kabina_6144x4088_DR
Le nombre d’avions français engagés contre Daesh va être triplé grâce au déploiement du porte-avions Charles de Gaulle, passant de 12 à 36.

Hmm… Parce qu’ils se cachent au milieu de la population, et que ça serait vraiment pas sympa pour elle. Ni pour les centaines de milliers de réfugiés qui aimeraient bien retourner chez eux plus tard. Enfin ça serait sans doute très mal perçu dans le reste du monde musulman, et on n’a vraiment pas besoin de ça. Néanmoins, il y a depuis les attentats une intensification des frappes contre l’organisation, du fait de la France et de la Russie notamment.

Vladimir Poutine vient seulement de reconnaître l’attentat à l’origine du crash de l’avion russe dans le Sinaï : il légitime ainsi auprès d’une opinion publique récalcitrante l’engagement en Syrie et a fortiori contre Daesh, alors que les rebelles syriens étaient principalement visés pour le moment.

La France était jusqu’à présent à l’origine de moins de 5% des frappes de la coalition contre Daesh depuis un an. Elle a renforcé également son action avec une quarantaine de bombes larguées ce week-end, soit autant qu’en plusieurs mois d’intervention « normale ».

Et pourquoi ne pas y aller à pied nettoyer ça à l’ancienne ?

Parce que ça semblait aussi une bonne idée en Afghanistan, et faute de soutien local, on a vu le résultat : une décennie de guerre, et les talibans sont toujours là. C’est ce que veut Daesh, alors avant d’y aller, il faut savoir qui y va et qui nous aide une fois là-bas.

Desert_jihad_CC_Flickr_ONU
Pour être plus efficaces, les raids aériens doivent être coordonnés depuis le sol.

En effet, les raids aériens coûtent chers (plusieurs dizaines de millions de dollars tous les jours), mais permettent de limiter les pertes. Sauf qu’ils sont insuffisants : dans une logique d’usure, on ne cible que les grosses infrastructures, laissant aux djihadistes le temps de s’adapter et de riposter. Pour être vraiment efficace, il faut avoir des infos qui viennent directement du sol afin de guider les frappes ou d’indiquer par exemple des mouvements de troupes. Les occidentaux ont déjà déployé des forces spéciales, surtout en Iraq. Mais le plus efficace serait de coordonner les frappes aériennes avec une offensive terrestre. Et aux commandos, faut pas trop leur en demander non plus.

Sur qui peut-on s’appuyer pour une offensive terrestre ?

En Syrie, éliminons d’office les rebelles syriens : mal formés, trop divisés entre modérés (par exemple l’armée syrienne libre) et islamistes (des dizaines de groupes dont al-Qaïda, qui s’allient aux modérés ou à Daesh selon le moment et l’endroit). Difficile aussi de s’appuyer sur l’armée syrienne de Bachar sans passer pour des trompettes et des faux-culs. En Irak, la faiblesse de l’armée gouvernementale, qui a notamment abandonné Mossoul l’an passé sans combattre, ne plaide pas en sa faveur. Enfin impossible de s’associer aux milices chiites financées par l’Iran pour soutenir Bagdad et qui mêlent autant des types venus défendre leur pays que des fous furieux qui veulent se venger des sunnites et aller reprendre La Mecque s’il le faut. Les Saoudiens feraient la gueule.

Iranian elite revolutionary guards march
L’Iran, en plus de son armée régulière, mobilise une armée para-militaire (les Pasdarans) et des milices d’Irakiens chiites pour contrer Daesh.

La solution la plus logique serait de s’appuyer sur un membre historique de l’OTAN, qui a l’une des plus grosses armées terrestre de la région et qui accueille déjà des millions de réfugiés syriens : la Turquie. Mais bon, on attend toujours le déploiement de l’armée turque de l’autre côté de la frontière pour créer une zone de sécurité, comme l’avait évoqué Erdogan quand il s’est enfin décidé à « frapper » Daesh cet été. Elle devait permettre de couper le ravitaillement aux djihadistes et de ramener les réfugiés en Syrie. La reprise des hostilités avec les Kurdes a gelé le projet.

Reste donc les Kurdes. Ah les Kurdes. Mais si, ceux que tout le monde admirait quand ils se battaient à Kobané et qui se font aujourd’hui bombarder par les Turcs en toute décontraction de notre côté.

C’est quoi le problème avec les Kurdes ?

La version courte, c’est qu’ils sont sans doute les partenaires les plus fiables des occidentaux, mais qu’ils se verraient bien profiter du chaos ambiant pour fonder leur propre pays. Et ça, l’Iran et surtout la Turquie ne le permettront jamais.

Le Kurdistan selon institutkurde.org
Le Kurdistan selon institutkurde.org
La version longue

Ah ouais c’est bien prise de tête tout ça. Du coup on fait comment ?

Et ben j’imagine que vu que c’est très compliqué, on va simplifier les choses. Bachar est au centre du problème puisque c’est lui qui empêche pour l’instant la mise en place d’une grande coalition entre Occidentaux, Turcs et Pays du Golfe d’un côté et l’Iran et la Russie d’un autre.

BacharelAssad_CC_Flickr_thierryehrmann
L’avenir de Bachar, dont la répression sanglante du « printemps syrien » est une des principales causes de Daesh, conditionne plus que jamais la suite du conflit.

Donc pour l’instant, on va faire comme si Bachar n’existait plus, mettre de côté le fait qu’il massacre les sunnites syriens et qu’il doit quitter le pouvoir pour ne pas froisser les Russes et les Iraniens, lesquels se feront un plaisir de taper Daesh avec nous. Et pour ce qui est des Turcs et des Pays du Golfe et bien… il est temps de se poser quelques questions : s’ils favorisent leurs propres intérêts, peut-être faut-il en faire de même.

Bon, on élimine Daesh, et après ?

Voilà la question ultime, dont l’absence de réponse explique notre temps de réaction. En plus de la lutte sur le terrain, il faut détruire Daesh en tant qu’organisation internationale qui a accumulé assez de fonds pour poursuivre son action, à la manière d’al-Qaïda après la chute des Talibans. Et une fois Daesh détruit ou chassé, qui pour administrer les zones sunnites de Syrie et d’Iraq ? Le droit international voudrait que ce soit Damas et Bagdad, les autorités légales. Mais la fracture entre sunnite et les chiites au pouvoir est sans doute trop grave après des années de conflit et une guerre civile syrienne qui a fait déjà 250 000 morts.

Dans un cadre fédéral, on pourrait donner le pouvoir aux tribus sunnites, les seules qui ont encore un semblant de légitimité auprès de la population. Mais peut-être qu’elles sont déjà trop compromises avec Daesh, pour qui elles administrent les zones rurales. De plus l’expérience irakienne a déjà tourné au fiasco après le départ des occidentaux. Dans la même idée, la création d’un Kurdistan est aussi difficilement envisageable vis-à-vis de la Turquie, même si il y a une continuité territoriale entre le nord de la Syrie et de l’Irak et que les occidentaux auraient ainsi un allié plutôt solide dans la région.

Bref on ne peut pour l’instant que supposer, même si j’ai ma petite idée : il faudra bien qu’un jour les réfugiés syriens rentrent chez eux, du moins une partie. Or avant que Daesh ne soit éliminé, on a largement le temps de sélectionner et de former une nouvelle génération de cadres sunnites fiables, qui auront leur mot à dire dans une Syrie post-Bachar el-Assad.

Reste un dernier problème : comment en finir avec l’idéologie djihadiste ? Car vaincre Daesh en Syrie et en Iraq n’y suffira pas.

La photo de Une est issue du Flickr de Didier Weemaels. Cliquez, ça vaut le détour.

Journaliste, diplômé en économie et en histoire, j'ai fait mes classes au service sport du quotidien La Marseillaise avant de tomber dans le Web et l'actualité du numérique. Avec Snackable, je vais essayer de vous faire partager ce qui me passionne ou m'interpelle.

NO COMMENTS

Leave a Reply