« Tout comme le Vietnam fut la première guerre télévisée, les guerres de Syrie et d’Irak, sont celles des médias en ligne ».

C’est Peter Singer, de la Brookings Institution, qui dresse ce constat. Grâce à l’arrivée massive de djihadistes occidentaux, habitués à l’utilisation d’Internet et des outils de production professionnels, l’EI maîtrise tous les codes de la communication en ligne.

L’organisation utilise la revue Dabiq et le travail de plusieurs boîtes de production qui lui sont affiliées. Ils mettent en scène les combats, les décapitations d’otages étrangers ou encore la destruction des œuvres exposées dans les musées et des symboles religieux pré-islamiques sur les sites conquis. Son réseau de sites et de sympathisants en ligne diffuse sa propagande à grande échelle.

En parallèle, l’organisation profite de l’hyper-médiatisation de nos sociétés : ses actions, à l’image des drames répétitifs qui se sont déroulés à Paris cette année, trouvent un écho retentissant sur les réseaux sociaux et les chaînes d’info en continu.

Le réseau médiatique de Daesh

Daesh impose ainsi son leadership en matière de djihad, notamment vis-à-vis d’Al-Qaïda, et veut horrifier l’Occident pour le pousser à agir. Les community managers de l’organisation sont des maîtres de l’horreur : ils n’hésitaient pas à tweeter des photos de têtes décapitées pendant la coupe du monde de football au Brésil l’an passé, en parlant de « ballons en peau ». Hashtag #WorldCup.

Lire aussi notre article : [Irak] Quand les djihadistes se font experts en réseaux sociaux

Il faut bien avoir en tête qu’il n’y a aucun reporter indépendant en Irak et en Syrie depuis les kidnappings et les exécutions réalisés par l’organisation. Les médias n’osent plus envoyer leurs équipes et en parallèle ils reprennent allègrement les séquences diffusées par Daesh : c’est une double victoire pour l’organisation, qui contrôle totalement l’image qu’elle veut renvoyer. Une photo ou une vidéo ne représente pas la réalité, seulement ce que veut en montrer son auteur.

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Ainsi, quand Daesh détruit les sculptures du musée de Mossoul, la plupart des sculptures ne sont que des copies en plâtre, et elles ne représentent qu’une infime partie de la collection du musée, laquelle est revendue au marché noir par les djihadistes.

L’organisation soigne son image auprès de tous ses sympathisants, en adoptant par exemple un arabe parfait dans ses publications ou en traduisant ses films de propagande en de nombreuses langues : le califat utilise les nouvelles technologies pour diffuser un message présenté comme étant aussi pur que l’était l’islam du début, et l’arabe à cette époque.

Les djihadistes empreignent leurs coups d’éclat d’une symbolique particulière  : pour être plus médiatiques, ces actions sont théâtralisées, comme celles qui devaient marquer l’an deux du califat, un vendredi, en plein Ramadan.

Le « Cybercalifate » lance le djihad sur les réseaux sociaux

Via Internet, l’organisation cherche à mettre en place des cellules dormantes dans les pays impliqués au sein de la coalition internationale. Les sites djihadistes, relayés par les réseaux sociaux, invitent de nombreux jeunes à se radicaliser en ligne. Le reste de la propagande doit les convaincre de franchir le pas.

 

Daesh est capable de lancer de véritables campagnes de communication, à l’image de cet appel à s’attaquer à des salles de concert à l’aide de grenades. Les attentats qui ont touché Paris ce 13 novembre, dont l’attaque du Bataclan, en sont les illustrations les plus récentes.

Les Occidentaux peinent à contrer l’organisation en ligne. Ils ont fait pression sur Twitter ou Facebook pour que les comptes apparentés à l’EI soient supprimés. Mais ces derniers ont beaucoup de mal à contrôler le flux d’informations, si bien qu’un réseau social comme Facebook peut vite, en fonction des pages likées, se transformer en réseau pro-djihadiste, où l’algorithme de suggestion d’ami renvoi sur des personnes présentes en Syrie, comme l’avait démontré Rue89 dans un article révélateur.

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Abou Abdalhah Guitone, émissaire en ligne de Daesh et exemple du « swag djihadistes ».

L’an passé, l’Express consacrait sa Une aux Français embrigadés via les réseaux et donnait un aperçu de quelques comptes tenus par des djihadistes ralliés à Daesh. Facebook est utilisé tant pour promouvoir l’organisation que pour radicaliser des jeunes en manque de repères, les pousser à rejoindre l’EI ou à commettre un attentat en métropole. Afin de rendre la vie des djihadistes plus séduisante, ils se mettent en scène.

Abou Abdalhah Guitone est un bon exemple. Le jeune homme, né au Maroc et qui a vécu en France, au Royaume-Uni, et en Espagne, est l’archétype du « swag djihadiste » : barbe naissante, coupe afro, lunettes de soleil et paire de Nike aux pieds, il pose avec des armes ou un drapeau de Daesh en toile de fond. Une fois arrivés sur place, ces djihadistes sont encouragés à contacter et persuader des proches de les rejoindre. Les Nike ont depuis été interdites.

Même constat sur YouTube, où les vidéos montrant les combats et la mort des « martyrs » côtoient celles où l’on peut voir des exécutions, mais aussi, plus troublantes, des vidéos où les djihadistes rient entre eux, se jouent des snipers ennemis en habillant un balai avec un niqab et en l’agitant dans leur ligne de mire ou encore viennent en aide à une vieille kurde à Kobané. Mais encore une fois, on ne sait pas ce qui arrive à cette femme une fois sortie du cadre de la vidéo et de la propagande de Daesh.

Les rois de la désinformation

Ce curieux mélange de rire et d’horreur joue en la faveur des djihadistes, qui donnent l’impression de faire de l’humanitaire, tant en aidant les faibles qu’en châtiant ceux qui se détournent d’eux. Néanmoins les réseaux sociaux peuvent aussi se révéler mortels pour les djihadistes : récemment, les Américains ont utilisé les informations fournies par un selfie pour identifier un bâtiment servant de quartier général aux djihadistes et le détruire. L’organisation publie d’ailleurs des guides pratiques à destination de ses membres, qui prônent la prudence en ligne.

Les djihadistes punis de selfies

Mais le Web reste un outil puissant : à peine musulmans, déjà radicaux, les jeunes attirés par Daesh sur les réseaux sociaux sont désespérés, n’ont plus confiance en l’avenir et en leur pays. Ils sont valorisés par les djihadistes et, au-delà de l’idéologie, la promesse d’une vie d’action, d’argent ou de femmes suffit à les convaincre. 40% des individus désignés par les services français comme des candidats au djihad sont des convertis. Cette proportion est encore plus importante chez les jeunes, attirés par une vision fantasmée du djihad et de la vie au sein de l’EI.

Pour parler à l’opinion publique occidentale et rendre ses messages plus compréhensibles, l’organisation va jusqu’à utiliser les journalistes capturés pour réaliser des pseudo-reportages ventant les mérites du Califat. Comme pour les images de propagande qui sont les seules à montrer « une » réalité du terrain, cela contribue à rendre les informations de Daesh plus crédibles.

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Vrais documentaires et vidéos d’amateurs se mélangent. « Vérité », « secret », « preuve »…

L’organisation n’hésite pas à faire de la déformation et utilise les failles des médias en ligne – certains ont tendance à prendre ce que publie un autre site pour une information vérifiée, quand ce ne sont pas tout simplement les lecteurs qui ne savent pas identifier une source fiable – pour se rendre plus menaçant qu’ils ne le sont.

On entend parfois parler du développement par les artificiers de Daesh d’explosifs plus performants et indétectables, ou encore que l’organisation pourrait se procurer une bombe nucléaire ou dispose d’assez de matériaux radioactifs pour produire une bombe sale.

Tout ce qui peut contribuer à donner une image de puissance à ses sympathisants et au contraire, inciter les Occidentaux à se sentir en danger et à intervenir. En laissant planer une menace constante, les djihadistes cherchent à crisper les Occidentaux, qui doivent déployer de plus en plus de moyens pour surveiller les lieux sensibles et les personnes susceptibles de commettre un attentat.

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Un voisin du « tueur » de l’Isère : « Heu… j’ai rien vu ». La surenchère médiatique à l’oeuvre.

Les décideurs sont poussés à agir dans l’urgence et à surestimer cette menace. Les dispositifs sont lourds et épuisants et posent d’autant plus la question d’une élimination rapide de l’organisation en Irak et en Syrie. Une intervention directe est le rêve de Daesh qui cherche à mobiliser les musulmans contre les Occidentaux.

Là encore, les médias contribuent à cette atmosphère anxiogène, en donnant à n’importe quel acte terroriste une couverture maximale, soit ce que veulent les terroristes : terroriser. Un cercle vicieux médiatique se met alors en place : en 2014, le nombre d’actes terroristes a augmenté de 35% et fait 80% de victimes supplémentaires !

Chaque nouvelle attaque provoquera la même stupéfaction, le même retentissement médiatique, la même attraction pour les terroristes en herbe qui voudraient marquer les mémoires…

Lire aussi notre résumé complet : l’État islamique, c’est quoi ?

Journaliste, diplômé en économie et en histoire, j'ai fait mes classes au service sport du quotidien La Marseillaise avant de tomber dans le Web et l'actualité du numérique. Avec Snackable, je vais essayer de vous faire partager ce qui me passionne ou m'interpelle.

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