La semaine dernière, la fameuse loi des séries, dépourvue de fondements scientifiques mais qui semble frapper le monde du transport aérien à chaque crash, a touché également le secteur aérospatial.

Vous n'avez pas toute la journée ? Le résumé de cet article en dix secondes

Vendredi 31 octobre, la vaisseau SpaceShipTwo s’est écrasé dans le désert du Mojave en Californie, causant la mort d’un des deux pilotes. Deux jours auparavant, en Virgine, sur la côte est des Etats-Unis, c’était la fusée Antares qui ratait son décollage et explosait au sol, heureusement sans faire cette fois de victime.

Ces deux engins ont peu de choses en commun, hormis le crash : SpaceShipTwo est une navette de transport sub-orbital destinée à emmener des passagers à la limite de l’espace, soit 100 kilomètres d’altitude, et revenir sur Terre intacte. La fusée Antares devait quant à elle ravitailler en matériel la Station spatiale internationale (ISS) pour le compte de la NASA, à plus de 300 kilomètres au-dessus de nous.

Elles partagent pourtant une autre caractéristique, puisqu’elles sont toutes les deux issues d’entreprises privées. La mission Antares est menée par Orbital Science, un prestataire engagé par la NASA dans le cadre du programme COTS, qui vise à externaliser l’approvisionnement de l’ISS via des entreprises privées.

La navette SpaceShipTwo est développée par le fameux Richard Branson et sa filiale Virgin Galactic, dont le but est d’envoyer des touristes dans l’espace. Elle est basée sur SpaceShipOne, vaisseau à l’origine du premier vol habité privé de l’histoire en 2003.

¨Pour un aperçu de l'expérience SpaceShipTwo, cliquez ici

C’était à prévoir ?

Pour Antares, les pertes matérielles s’élèvent à 200 millions de dollars et 2,2 tonnes de vivres et de matériels scientifiques sont perdues. Rien d’irremplaçable, mais l’addition peut paraître salée quand les premiers éléments de l’enquête laissent penser que l’accident est lié aux économies réalisées par Orbital Science sur l’équipement de sa fusée : elle utilisait des moteurs dérivés d’une technologie soviétique développée dans les années 60. Bien que remis aux standards actuels, ces moteurs, censés apporter « de meilleures performances pour moins de coûts », avaient déjà provoqué un accident au printemps dernier.

Du côté de Virgin Galactic, le crash de la navette SpaceShipTwo remet bien sûr en cause le programme de tourisme spatial mené par la société. Les premiers vols commerciaux étaient en effet planifiés pour Noël selon Richard Branson, interviewé par le Wall Street Journal le mois dernier. Le vol de vendredi devait permettre le test d’un nouveau combustible avant cette date. Richard Branson a toutefois affirmé sa volonté de poursuivre le projet, déjà endeuillé en 2007, quand l’explosion d’un moteur durant un exercice au sol avait tué trois personnes.

SpaceShipTwo est ainsi à l’origine des deux derniers deuils de l’industrie aérospatiale. 800 personnes, dont Lady Gaga et Leonardo Di Caprio, ont déjà réservé leur billet pour l’espace, pour la bagatelle de 200 000 euros… Des sommes qui pourraient justifier l’empressement de Virgin Galactic, alors que certains médias affirment que la société avait été prévenue des risques tout en refusant l’analyse d’experts indépendants.

Bien sûr, les spécialistes rappellent que ces accidents sont exceptionnels et préparent les succès de demain. Catherine Maunoury, directrice du musée de l’Air et de l’Espace interrogée par l’Obs, cite ainsi l’explosion de la première fusée Arianne 5 en 1996, qui ne rencontrera plus de problèmes similaires par la suite. « Tout est normal »…


Mais l’inverse est aussi possible : je pense aux explosions des navettes Challenger et Columbia en 1986 et 2003, la dernière précipitant la fin du programme des navettes spatiales de la NASA et encourageant celle-ci à faire appel au privé. Dans la même idée, les événements de la semaine dernière pourraient mettre un frein à cette privatisation de l’espace, à la recherche d’un équilibre entre sécurité et profit.

La privatisation de l’espace prend un coup dans l’aile, mais les projets restent nombreux

Grâce à Virgin, c’est le tourisme spatial qui regroupe les projets les plus médiatisés. On peut ainsi évoquer la société américano-néerlandaise XCOR/SXC et sa navette Lynx, qui promet des vols deux fois moins chers que ceux de Virgin et une altitude comprise entre 50 et 100 kilomètres.
Bigelow Aerospace prévoit de son côté de développer des hôtels dans l’espace. Début octobre, elle annonçait un partenariat avec la Station spatiale internationale pour qu’un de ses modules/chambres y soit raccordé l’an prochain.

Mais le tourisme n’est qu’un marché de niche et n’est pas la seule motivation des entreprises privées qui s’intéressent à l’espace : la mise en orbite de satellites très légers ou encore les vols sub-orbitaux entre différents continents sont aussi mis en avant.

SpaceShipTwo (au centre) et l'avion porteur WhiteKnight Two
SpaceShipTwo (au centre) et l’avion porteur WhiteKnight Two

Virgin développe ainsi Launcher One, destiné à mettre des engins robotisés en orbite basse pour un coût largement inférieur à ceux pratiqués par exemple par Arianne. Les néerlendais SXC et KLM (filiale d’Air France) travaillent eux sur un projet d’avion spatial. EADS, la maison-mère d’Airbus, est également sur le rang.

Swiss Space System (S3), une société lancée l’an dernier, prévoit pour sa part de s’attaquer aux trois marchés : en 2018, elle veut lancer des petits satellites (jusqu’à 250 kg) conçus par des universitaires, des PME ou des pays émergents. L’année suivante, elle veut adapter sa navette pour le transport de passagers et la simulation de l’apesanteur.
Enfin, dès 2020, S3 pense développer un avion-fusée capable de vols de longue distance passant par l’espace et évoluant à dix fois la vitesse du son. Elle relierait Londres et Tokyo en seulement 90 minutes.

Outre ces marchés potentiels, une autre explication à cette course à l’espace est fiscale, les entreprises américaines qui investissent dans le secteur bénéficient de réductions d’impôt. Il faut aussi souligner la fascination qu’ont certains patrons pour les étoiles.

À l’instar de Richard Branson, Jeff Bezos, le patron d’Amazon, s’est aussi essayé au transport de passagers avec Blue Origin, une entreprise fondée en l’an 2000. Mais celui qui a sans doute le plus de chances de réussir son pari reste Elon Musk. Si vous ne le connaissez pas encore, c’est le nouveau gourou technologique de la Silicon Valley, à l’origine d’entreprise comme PayPal, Tesla Motors (1er constructeur automobile 100% électrique et rentable au monde) ou encore SolarCity (l’un des principaux fournisseurs d’électricité solaire aux Etats-Unis). Mais ici, l’entreprise qui nous intéresse est SpaceX.

Elon Musk et SpaceX : Mars en ligne de mire

Space X est l’autre prestataire privé employé par la NASA dans le cadre du programme COTS. Fondée en 2002 grâce à l’argent de la vente de PayPal à eBay, l’entreprise est devenue en 2008 le premier acteur privé à envoyer une fusée dans l’espace. La même année, elle passe un contrat de 1,6 milliard de dollars avec la NASA pour assurer le ravitaillement de l’ISS.

Elon Musk dans les locaux de SpaceX
Elon Musk dans les locaux de SpaceX

Ses atouts ? Elle développe des lanceurs low-cost et réutilisables, ce qui lui permet d’afficher des prix imbattables. Et elle aussi a connu des moments difficiles : ses trois premiers essais ont été des échecs.

Une expérience qui paye aujourd’hui. En septembre, SpaceX s’est associé à Boeing afin de produire pour la NASA des navettes de transport de passagers. Depuis l’arrêt des navettes US en 2011, ce sont les Russes quiassurent des liaisons vers l’ISS avec leur vaisseau Soyouz. Mais les tensions autour de la Crimée ont décidé les Américains à investir 6,8 milliards de dollars dans un programme privé.

Ravitaillement de l’ISS, transport de passagers… Ces deux accidents de concurrents privés renforcent la position de SpaceX. D’autant qu’Elon Musk avait prévenu Richard Branson, blaguant que la technologie n’était pas sa tasse de thé.

Mais l’ISS et les vols sub-orbitaux ne sont pas les objectifs finaux du natif d’Afrique du Sud et de SpaceX. Comme vous pourrez le découvrir dans ce portrait, Elon Musk est obsédé par la sauvegarde de la planète, d’où Tesla et SolarCity. Mais en cas de pépin, le milliardaire mise sur la colonisation de Mars. « J’aimerais mourir sur Mars, mais pas lors de l’impact » confiait-il ainsi l’an dernier lors d’une conférence. Cet été, il récidivait dans une interview pour le site ManagementToday : « Nous serons sur Mars d’ici une dizaine d’années. Nous allons développer des vaisseaux pour ça. J’en serais certainement moi-même, bien que je ne pense pas qu’il soit très sage que le patron soit aussi le pilote d’essai ».

Journaliste, diplômé en économie et en histoire, j'ai fait mes classes au service sport du quotidien La Marseillaise avant de tomber dans le Web et l'actualité du numérique. Avec Snackable, je vais essayer de vous faire partager ce qui me passionne ou m'interpelle.

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